
Les faux ennemis
Les écologistes sont parfois tiraillés entre deux préoccupations majeures, le climat et la biodiversité. Souvent les naturalistes protestent contre l'omniprésence du climat dans les débats publics, qui en vient à masquer le problème de biodiversité. De leur côté, les tenants des énergies renouvelables regrettent les obstacles qui leur sont opposés au titre de la protection des milieux, de la faune et de la flore. Tout se passe comme si les deux préoccupations étaient antagonistes alors qu'elles sont complémentaires. La dégradation du climat nuit à la biodiversité. De nombreux espèces ne peuvent supporter les effets le réchauffement. La chute de la biodiversité réduit la capacité du milieu, notamment les océans, à capter le carbone de l'atmosphère. Climat et biodiversité, même combat ! La question de la fusion entre les COP (conférence des parties pour le suivi de conventions internationales) climat et biodiversité a d’ailleurs été évoquée à maintes reprises.
Les contradictions entre plusieurs aspects de l'environnement existent depuis toujours. Nous sommes dans le champ de la complexité, avec de nombreuses interactions entre tel et tel phénomène, ce qui peut, selon les cas, provoquer des conflits, ou au contraire donner l'idée d'actions conjointes. « Nombreuses sont les politiques qui, par le passé, se sont opposées au lieu de se soutenir mutuellement » disait Romano Prodi dans la préface de la première stratégie européenne de développement durable (1), il y a presqu’un quart de siècle. Comment mettre en place des synergies entre la protection de ces deux types de patrimoine de l’humanité, le climat et la biodiversité ?
Une des difficultés tient à l’échelle des interventions. Au niveau global, à grande échelle, la convergence est nette. Le réchauffement des océans est une menace pour la vie marine, qui n’en a pas besoin. La perte de biodiversité dans la mer réduit sa capacité à absorber le carbone. Les deux problèmes se conjuguent et se renforcent mutuellement et les solutions à un des deux ne peuvent que faire du bien à l’autre. Pareil sur terre. Comparons par exemple les surfaces nécessaires pour parcourir 100 km, d’un côté en véhicule thermique alimenté par des agrocarburants (éthanol, par exemple, issu de la culture de betteraves), et de l’autre l’équivalent électrique alimenté par des capteurs photovoltaïques. 15ha, ou 1/2ha. Le choix électrique est 30 fois plus efficace que le thermique, ce qui permet d’économiser plus de 990 000 ha sur le million actuellement consacré aux agrocarburants, pour une trentaine de millions d’hectares de surface agricole au total. Autant de gagné pour d’autres cultures, la forêt et la nature sauvage. Le calcul ne vaut pas pour tous les usages, l’alimentation des fours industriels ou le chauffage domestique par exemple, mais la mobilité routière est un poids lourd pour l’émission des gaz à effet de serre, et les ordres de grandeur sont clairs. Mais ce n’est pas parce qu’une politique est globalement bonne qu’il faut abandonner toute discipline dans la mise en œuvre.
La question se pose pour chaque installation, dans son contexte. Les éoliennes constituent un risque pour les oiseaux et les chauves-souris, les panneaux solaires posés au sol, les grandes centrales, appauvrissent le milieu d’implantation en l’artificialisant, même partiellement. C’est là qu’il faut être vigilant. Le premier réflexe est d’éviter les zones sensibles, comme les couloirs de migration des oiseaux, ou des biotopes particulièrement fragiles. Une analyse préalable est nécessaire, souvent dans le cadre de documents de planification spatiale. Les études d’impact des projets permettent de préciser certains paramètres, comme la hauteur des supports des panneaux photovoltaïques, leur densité, leur positionnement précis, et les opérateurs cherchent à aménager les abords des équipements avec des haies ou des prairies fleuries pour attirer des polinisateurs, voire des plantations d’arbres, tout en faisant attention, dans le cas des éoliennes, de ne pas attirer d’oiseaux à proximité des mats. Il existe de nombreux paramètres sur lesquels jouer, comme le choix entre fauchage ou pâturage comme mode d’entretien des abords des panneaux au sol.
Climat, énergies renouvelables et biodiversité peuvent donc, le plus souvent, aller de pair, et parfois se conforter mutuellement, si les lieux d’implantation sont bien choisis. L’ADEME et l’Office français de la biodiversité pilotent conjointement un observatoire dédié, et publient documents d’information pour aider les acteurs sur le terrain. Il faut cependant y apporter des moyens humains dès les premières études, pour obtenir la synergie souhaitée et éviter qu’une préoccupation ne soit prise en compte au détriment de l’autre.
1 - Romano Prodi, Stratégie européenne en faveur du développement durable, Communautés européennes, 2002.
Edito du 26 mars 2025
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