
La vraie croissance
Nous mesurons la croissance du côté de la production, plus précisément de la production marchande, celle qui fait l’objet d’une transaction. Nous savons que cet indicateur, le PIB, est plein de défauts, mais il a le mérite de la simplicité, et il s’obtient par l’agrégation de données récoltées par ailleurs. Des vertus essentielles qui font que le PIB résiste, malgré les attaques dont il est l’objet.
Le défaut principal est le postulat de départ, si nous voulons sincèrement mesurer l’amélioration de notre qualité de la vie, et le niveau de satisfaction de nos besoins et de nos envies. Ce postulat consiste à croire que le niveau de production représente notre niveau de bien-être. C’était sans doute vrai au temps où la production ne couvrait que partiellement les besoins, mais nous en sommes arrivés à produire pour produire, quitte à forcer la main des consommateurs ou à mettre sur le marché des marchandises qui s’usent prématurément, rien que pour faire tourner l’économie.
Dans son ouvrage Le climat après la fin du mois (1), l’économiste Christian Gollier nous dit que « depuis 1914, le pouvoir d’achat a augmenté d’environ 2% par an en Europe occidentale. Cela fait que nous consommons 50 fois plus de biens et de services que nos aïeux de la Belle Époque ». Des biens et des services produits et comptabilisés au titre la production, mais qui ne se traduisent pas automatiquement en matière de bien-être. Nous vivons plus vieux et en meilleure santé, mais sommes-nous 50 fois plus heureux que nos aïeux ? Le découplage bonheur-consommation est une réalité factuelle, et c’est pourquoi la formule « bonheur national brut » est née, sans toutefois trouver d’application concrète hors d’un seul pays, le Bouthan.
La vraie croissance est celle de notre qualité de vie, évidemment bien plus compliquée à évaluer, plus subjective, plus fluctuante. Plusieurs indices peuvent nous donner des éléments d’appréciation, comme des données sur notre morbidité, notre durée de vie en bonne santé, notre niveau d’éducation, mais il manque toujours le volet sensible, ce que nous ressentons, la qualité de notre intégration dans un milieu physique et humain, nos espoirs et nos déceptions. Ce sont plutôt des enquêtes, comme celles sur le moral des Français, qui peuvent répondre à ces questions. C’est comme l’immatériel dans les bilans des entreprises, bien incapables d’intégrer la qualité du management ou l’engagement du personnel, pourtant clés du succès. Comme d’habitude, l’essentiel ne se voit pas directement, il faut le chercher dans un ensemble composite de données, pas toujours suivies régulièrement de surcroît.
« Deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources », est le sous-titre d’un rapport au club de Rome, Facteur 4 (2), qui prône ainsi le découplage entre bien-être et consommation de ressources, au lieu du découplage bien-être / production. C’est un autre type de production qui permet d’obtenir une vraie croissance, une production économe en ressources.
L’écoconception en est une illustration. Fabriquer des objets qui ne demandent que peu de ressources pour leur fabrication comme pour leur usage, des objets qui durent longtemps, qui se réparent aisément, et dont les matériaux, en fin de vie, se recyclent et connaissent ainsi plusieurs vies. Au lieu de mettre nos meilleurs ingénieurs au défi de trouver de nouveaux gisements de ressources, mieux vaudrait leur demander comment tirer le meilleur parti de chaque unité de ressources, pour que leur rendement en termes de service rendu, soit maximum.
Produire des biens dont la valeur représente avant tout du talent, du savoir-faire, des ressources qui ne connaissent pas de limites et ne pèsent pas sur les équilibres planétaires. Il y a aussi les consommations immatérielles, comme la culture, la richesse de relations humaines, ou encore le repas gastronomique des Français, classé par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité, surtout si ce repas est bio et local.
Il y a mille manières de faire croître le bien-être sans altérer la bonne santé de la planète. Tant que nous pensions que la Terre était infinie, nous ne les avons pas cherchées, et nous avons privilégié la recherche de nouvelles ressources, toujours plus loin, plus profond, plus dangereux. La croissance de demain est d’une autre nature. Son carburant, sa ressource première, est le génie humain.
1 Aux PUF, 2020.
2 Facteur 4, Ernst U. Weizäcker, Amory B. Lovins et L. Hunter Lovins, Terre vivante, 1997
Edito du 2 avril 2025
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