
La règle et la réalité
Il arrive souvent que la règle fasse oublier la réalité qu’elle est censée protéger. Le respect des accords de Paris sur le climat, par exemple, est souvent mentionné avec une sorte d'amertume pour les obligations qu’ils nous imposent. Et nous oublions que les objectifs de ces accords concernent une réalité physique qui n'a rien de politique ou d'administratif. Le dérèglement climatique est le vrai sujet, les accords ne sont qu’un instrument formel pour le traiter. De même la règle budgétaire européenne des 3% n'est qu'une transposition, peut être maladroite, de la nécessité le maîtriser les déficits publics, et de lutter contre un endettement qui compromettrait notre indépendance.
Dans ces deux exemples, pris dans deux domaines de natures bien différentes, l'objectif réel n'est pas de respecter une règle, mais de garder la maîtrise de la situation, et c'est bien cet objectif qu'il faut avoir en tête. C’est lui qui justifie les contraintes et les différents règlements que nous nous donnons pour l’atteindre. La règle devient une sorte de balise sur un chemin, elle nous donne des indications, fixe des étapes de progression, et permet à tous les acteurs d'entrer en cohérence, car les objectifs ne peuvent être atteints sans coopération entre eux.
Pour reprendre la question de l'endettement public, le problème n’est pas en soi son volume, mais sa destination. Investir pour le futur, c'est renforcer notre capacité à rembourser les dettes, à condition bien sûr de ne pas se tromper de futur. Nous savons par exemple que l'investissement écologique est hautement rentable. La dégradation l'environnement coûte très cher, au point que les assureurs ne peuvent plus s’engager à couvrir les sinistres qui en résultent. Encore faut-il une cohérence dans les politiques sectorielles vis-à-vis de l'environnement, de manière à ne pas compromettre l’efficacité des investissements. Les économies de ressources, comme l’eau douce, l’énergie, ou telle matière première, n’ont pas de sens si certaines activités fonctionnent en « open bar » et ne se sentent pas concernées. La règle permet à chacun de prendre sa part de l’effort et de contribuer à un objectif partagé. La planification écologique a pour missions de coordonner les apports des uns et des autres, de les organiser pour qu’ils se renforcent mutuellement.
L'accord de Paris pour le climat n’est pas une fin en soi, mais nous savons que tous les écarts ou les retards constitue des risques pour l'objectif réel qui est de maintenir la température de la planète à un niveau acceptable.
La règle est une convention humaine et critiquable de ce fait. Trop souvent les critiques qui portent sur la règle font oublier les raisons pour lesquelles elle a été établie, ou bien tentent de masquer un rejet de ces raisons.
Pour les affaires au long cours, comme le plus souvent dans le domaine de l’environnement, la règle se traduit par un calendrier. Il s’agit de fixer des repères dans le temps, pour que les différents acteurs calent leur politique. L’exemple du véhicule électriques est éloquent à cet égard. Pourquoi 2035 a-t-elle été choisie comme date limite de mise sur le marché des véhicules thermiques ? Parce que nous visons la neutralité carbone (la fin des émissions nettes) en 2050, et que la durée de vie moyenne des voitures est de 15 ans. Et du côté industriel, 2035 donne un délai raisonnable pour la transformation des usines de production de voitures. Un secteur d’activité qui doit investir lourdement et qui veut une visibilité pour conduire le changement. La remise en question de la date, fruit des efforts des pétroliers, sème le doute, tout ce qu’il ne faut pas dans ces situations de transition. Derrière la règle, c’est la lutte contre l’effet de serre qui est menacée.
Toutes les règles ne sont pas pour autant parfaites, certaines sont même contre-productives, ou encore « hors sol », incompréhensibles par ceux qui doivent les appliquer. D’autres encore ont été émises dans un monde qui n’est plus le nôtre aujourd’hui, elles sont obsolètes et constituent des obstacles à la bonne marche des activités. Un grand ménage, souvent sous couvert de simplification, est nécessaire. Mais attention à ne pas perdre de vue les raisons d’être des règles visées. La réalité demeure.
Edito du 19 mars 2025
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