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Démocratie et changement

Le pacte vert européen serait en danger. Ça grogne au Parlement européen. Les records de chaleur de cet été n’ont manifestement pas convaincu de la puissance du changement climatique, et certains sondages semblent dire que la proportion des climatosceptiques aurait tendance à croître dans notre pays. Les prochaines élections européennes seront donc décisives pour l’avenir d’un pacte qui semble pourtant urgent si nous voulons éviter le pire.

Le changement est toujours une épreuve. Les chanceux, les nantis, craignent de voir leurs avantages ou leurs privilèges remis en question, et les plus pauvres ont peur de perdre le peu dont ils disposent. Pour tout le monde, le changement dérange, il nous bouscule et nous sort de notre zone de confort. Et pourtant, si nous voulons poursuivre une croissance de notre bien-être, il faut accepter de changer, le rien faire nous condamne à la régression, au déclassement. Pour vivre mieux, nous devons changer pour intégrer les nouvelles contraintes qui se manifestent et en faire des atouts.

C’est que le monde change vite, lui. Sans doute trop vite, mais c’est lui qui donne le tempo, il faut l’accepter. Nouveaux équilibres géopolitiques, nouvelles technologies, mouvements de population, dérèglement climatique, pénuries en vue de certaines ressources telles que l’eau douce, etc. Une avalanche de transformations profondes, qui ne peut que nous inquiéter. Nous souhaitons une pause, nous souhaitons reprendre notre souffle, comprendre ce qui se passe et nous y préparer, au moins dans nos esprits.

Dans le champ politique, une phrase résume cette situation, prononcée par le président des USA George HW Bush au sommet de la Terre à Rio, en 1992 : « L’American way of life is not negociable ». Une phrase qui nous a fait bondir, mais qui inspire dans les faits de nombreuses politiques, notamment celle de la France. « Il faut protéger les Français » en est la transposition, il s’agit bien de ne rien changer à notre mode de vie. Une phrase qui conforte tous les conservatismes, qui pousse au repli sur soi et au sentiment que c’était mieux avant. Michel Serres en a dit tout le mal qu’il en pensait. Les populistes de tous bords flattent l’opinion qui, légitimement, s’interroge sur l’avenir, se sentent dépassés et dépossédés de leurs droits de citoyen, et voudraient bien, tout compte fait, que rien ne change. Chaque discours officiel mentionnant la « protection » des Français fait monter le score des populistes, en ravivant un pseudo âge d’or de l’Etat providence, qui nous protégerait notamment de toutes ingérences étrangères. « L’enfer, c’est les autres » à l’échelle du pays. Les élections poussent les partis politiques à rassurer les électeurs ; le temps de la sueur, du sang et des larmes n’est plus qu’une référence historique, manifestement.

C’est ainsi que progresse le rejet des « vérités qui dérangent », pour reprendre le titre d’un film (et d’un livre, 2006) d’Al Gore, ancien vice-président des USA. Sous l’influence des réseaux sociaux, chacun s’enferme vite dans ses certitudes, partagées bien sûr par ses « amis », nous ne croyons plus que ce qui nous convient, et rejetons toute information contraire. Les Cassandre, passez votre chemin ! Allez promouvoir le changement dans ces conditions-là !

Il y a la peur. La peur des cataclysmes, de la fin du monde, opposée à la fin du mois. Un levier qui, hélas, ne fonctionne que quand il n’y a plus rien à faire, quand c’est trop tard. Puisque la science et la peur ne parviennent pas à changer les attitudes et les opinions, comment faire pour « vendre » le changement et rendre l’envie de changement majoritaire, dans un pays démocratique ? Certains ont renoncé, et misent sur des régimes autoritaires, mais il est à craindre que toute contrainte sur les modes de vie ne fasse l’objet de contournement et de résistances qui en compromettraient le succès. Rien à faire, il faut donner envie du changement, seule voie pour obtenir une contribution active du plus grand nombre audit changement. Tel est le défi que nous devons relever. Comment promettre « des lendemains qui chantent » tout en annonçant des changements profonds de mode de vie ? Un chalenge difficile, auquel tout parti politique « responsable » est confronté, et il y a certainement plusieurs chemins qui « mènent à Rome ». Donner un nouveau contenu au « progrès », tel est le moyen de donner envie d’un nouveau monde. Un point de passage me semble obligé : mettre l’humain au cœur des projets politiques, la qualité de vie de chacun d’entre nous, une qualité de vie réaffirmée non pas par l’amour du barbecue ou de la chasse, mais par l’intensité des relations humaines et de nos émotions. "Il n’est de richesse que d’hommes".

Edito du 20 septembre 2023

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Planter sans se planter

Les villes plantent de plus en plus d’arbres, notamment pour lutter contre l’ilot de chaleur urbain. Comment faire, pour assurer une bonne cohabitation végétal/béton/goudron ?

L’adaptation est devenue un mot clé du développement durable. Hier il s’agissait, par exemple, de construire des bâtiments susceptibles de profondes transformations, pour répondre aux besoins de demain Exigence qui se renforce aujourd’hui, et qui s’applique à de nombreux domaines, notamment le réchauffement climatique. Les villes doivent faire face à ce défi, et le végétal sera mis à contribution pour y parvenir. Planter des arbres, oui, mais pas n’importe comment.

Les arbres, que l’on appelle au secours pour nous rafraichir, sont aussi victimes du réchauffement climatique. Les forestiers le savent bien, qui tentent d’accompagner une migration des espèces, qui remontent vers le Nord et vers les montagnes pour trouver un air plus frais. Dans les villes, les migrations sont plus faciles à contrôler, encore faut-il trouver à chaque fois la bonne solution au bon endroit. Chaque cas est un cas d’espèce, mais il y a des principes à respecter, et des données à intégrer aux projets.

C’est que la contrainte est double. Il faut à la fois satisfaire aux besoins des arbres, sous-sol pour le développement des racines, sol perméable, volume nécessaire au développement du houpier, accès à l’eau, pollution, climat, et en même temps apporter le confort, l’agrément, le paysage, la sérénité que les humains attendent. Ajoutez à ces conditions l’absence de pollen ou d’émanations allergisantes, et vous aurez le cahier des charges pour la recherche des végétaux qui réenchanteront la ville. Des guides ont été constitués pour aider les décideurs et les professionnels dans cette recherche. Plantes et Cités, l’ADEME et le CEREMA proposent chacun des bases de données sur les végétaux disponibles, respectivement Floriscope, Arboclimat et SESAME, et ont lancé ensemble un projet intitulé AVEC, Adaptation du végétal au changement climatique. Ils se donnent moins de deux ans pour analyser 2 000 essences pour les caractériser quant à leur capacité de résistance au changement climatique et à leur pouvoir rafraichissant. Leurs bases de données seront ainsi complétées de ces éléments cruciaux.

Ces informations seront bien utiles, mais elles n’exonéreront nullement les responsables des aménagements de toutes les études préalables. Pas de projet sans une bonne analyse de la situation, tant au plan physique, profondeur et encombrement éventuel des sols, éloignement par rapport au bâti, etc. qu’à celui de la demande des habitants, et des moyens humains et financiers envisagés pour assurer la maintenance des lieux ainsi aménagés.

Les projets d’implantation de « forêts » ou de parcs au cœur des villes se multiplient. Abandonnons tout de suite l’ambition de « forêts », incompatibles avec la densité urbaine, au profit d’illusion de forêt, d’illusion du sauvage, déjà perceptible « dans la composition des jardins du XIX siècle », comme le signale Caroline Mollie dans son libre « A l’ombre des arbres ». Répondre au « rêve de forêt », sans chercher à imiter la forêt.

La plantation d’arbres, des milliers sont annoncés ici et là - qui dit mieux ? - , est un élément majeur de lutte et d’adaptation face au réchauffement climatique. Un élément à insérer dans une panoplie bien plus large, où les synergies sont à rechercher. Les plantations rendront les rues plus attractives aux marcheurs et aux cyclistes, elles contribueront à rafraichir l’air des bienheureux courants d’air qui traverseront les logements. Les plantes grimpantes, spécialement sur les murs exposés à l’ouest, empêcheront lesdits murs d’emmagasiner la chaleur du soir et de réchauffer les nuits. L’association eau-végétation est pleine de ressources pour le rafraîchissement de l’air.

D’une manière générale, les plantations n’ont de sens qu’intégrée à une politique générale de lutte contre le réchauffement climatique. Elles y constituent une pièce importante, mais elles ont leurs exigences. Pour planter sans se planter (1) !

1 - Selon une expression d’un responsable du CEREMA

Edito du 13 septembre 2023

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Compter ce qui compte

Malgré tous ses défauts, le PIB, produit intérieur brut, est toujours d’actualité. Nous connaissons ses limites, voire ses failles, des alternatives ont été recherchées, des prix Nobel mobilisés à cet effet, mais il tient bon, il reste la référence. Il n’incorpore que ce qui est consigné dans les comptabilités des acteurs économiques, qui présente les mêmes défauts que la comptabilité nationale, à savoir l’exclusion de nombreux domaines qui comptent pourtant pour la bonne santé des entreprises et de la collectivité. Dans un rapport célèbre, intitulé « Entreprise et intérêt général » Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard notaient que « toute compréhension de l’entreprise passe par sa comptabilité. Or les enjeux sociaux et environnementaux qui doivent être considérés en sont absents ». C’était en 2018. C’est le concept même de comptabilité, d’entreprise ou nationale, qui est à reprendre pour y intégrer les données absentes aujourd’hui, à tous les niveaux.

Pour les entreprises, la progression de la RSE, responsabilité sociale et environnementale, est en marche. Il y a eu la loi NRE, Nouvelles Régulations Economiques, promulguée en 2001, dont l’objectif est d’améliorer la transparence dans les relations économiques et de favoriser la prise en compte du développement durable dans les activités des entreprises. Elle introduit le concept de reporting extra financier pour évaluer les performances environnementale, sociale et sociétale de l’entreprise. L’Europe s’inscrit à son tour dans cette dynamique, avec une directive « sur le reportage de durabilité des entreprises », NFRD, adoptée en 2014. Cinq ans plus tard, en France, c’est la loi PACTE, qui associe dans son titre croissance et transformation des entreprises, adoptée à la suite justement du rapport Notat-Sénard et du rapport « Financing a Sustainable European Economy » publié en 2018 par le groupe d’experts pour la finance durable constitué par la Commission européenne. La loi reprend la directive européenne en ce qui concerne le reporting, mais elle s’intéresse aussi au concept même d’entreprise, à sa raison d’être et à son rôle dans la société. L'article 1833 du Code civil précise que l'objet social de l'entreprise ne se limite plus à la recherche du seul profit mais que la société "est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ". Nouvelle étape européenne en 2022 avec la Directive CSRD – Corporate Sustainability Reporting Directive qui étend le champ d’application de la directive de 2014 et améliore de contenu des rapports de durabilité, notamment sur le changement climatique et l'impact des activités des entreprises sur l'environnement et la société en général. Entre temps, en mars 2021, est entré en application un règlement européen (UE 2019/2088) sur la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers Sustainable Finance Disclosure (SFDR).

Tant en France qu’en Europe, les exigences sur les rapports extra financiers ne cessent de se renforcer. Plus précis, et d’application plus étendue. Une avancée progressive à laquelle des organismes d’entreprises et de comptables ont répondu. Dès l’an 2000, un Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises, ORSE , est créé par des grandes entreprises du monde de l'industrie, des services et de la finance, des sociétés de gestion de portefeuille et des investisseurs, des organismes professionnels et sociaux et des ONG. La gestion des actifs immatériels devient en 2007 l’objet d’un autre observatoire, celui de l’immatériel, qui élabore « des propositions d’identification, d’évaluation des actifs immatériels au service de la stratégie et de la valorisation de l’entreprise ». En 2012, un Club Développement Durable créé au sein de l’ordre des experts comptables propose une comptabilité universelle, et publient un « manifeste » pour le promouvoir. Aujourd’hui, il existe plusieurs approches comptables des enjeux sociétaux et environnementaux. Le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), de l’association ORÉE et de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE) se sont rapprochés pour en faire présentation sous le titre La comptabilité intégrée, un outil de transformation de l’entreprise à la portée de tous, toujours dans l’objectif d’accompagner la transformation des entreprises, vers plus de durabilité. Cinq méthodes comptables sont disponibles aujourd’hui, et sont expérimentées.

La comptabilité et développement durable semblaient bien éloignées, mais la pratique et les institutions les rapprochent de plus en plus. Si la comptabilité nationale a bien du mal à se mettre à l’heure du développement durable, celle des entreprises s’est engagée sur ce chemin. La comptabilité, outil du développement durable ? Une affaire qui marche.

Edito du 30 août 2023

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Déclassement assuré ou changement gagnant

La presse nouqs révèle les intentions du Rassemblement National sur l'environnement. Voilà un positionnement curieux, pour une formation politique qui aspire au pouvoir en se réclamant de la grandeur de la France. Le passé comme modèle, c’était mieux avant, avec le bon sens en tête d’affiche, combiné à une foi absolue en la science qui résoudra tous nos problèmes. Un curieux cocktail « bon sens, pragmatisme et science » pour aller gaillardement de l’avant.

Le bon sens nous donne bien sûr des repères importants, mais il s’est forgé hier, et s’appuie inévitablement sur des constatations et des expériences datées. Certaines ont encore du sens, mais d’autres ont perdu toute crédibilité, et il serait bien dangereux de construire sur cette fondation. Le monde a changé, nos connaissances et nos techniques aussi, et bien des certitudes d’hier ne le sont plus aujourd’hui. Les échelles de temps et d’espace aussi, les enjeux locaux et immédiats sont aujourd’hui planétaires et décalés dans le temps, et nous subissons les effets cumulatifs de prises de décision et de comportements des siècles derniers. Le bon sens est conservateur par construction, et trompeur dans nos projections dans l’avenir. Il ne faut pas le négliger pour autant, il est encore plein d’enseignements, mais il ne faut pas le suivre aveuglément.
Le pragmatisme, également mis en avant par le RN, a des vertus, mais il a aussi des limites. Il est myope par nature, ancré dans le court terme, il n’est pas le champion de l’anticipation. Ce serait plutôt un suiveur, qui rechigne à toute prise de risque. Bon sens et pragmatisme, les deux mamelles du discours environnemental du RN, tournent clairement le dos à toute recherche d’un futur différent, et finalement à toute adaptation de notre pays au monde de demain. Innovateurs, entrepreneurs, passez votre chemin.

N'ayons pas d’illusion. Cette recherche se fera quand même, mais ailleurs, provoquera inéluctablement un déclassement de la France et accentuera sa dépendance. Pour ne prendre qu’un exemple, la marginalisation des énergies renouvelables nous privera d’un marché mondial en rapide extension, et nous maintiendra sous la dépendance des marchands de gaz et de pétrole pendant au moins quinze ans, date prévue pour la mise en service des nouvelles centrales nucléaires. Bonjour le réchauffement climatique, et l’envolée du prix de l’énergie : les fossiles nous mettent à la merci des pays fournisseurs, qui en profiteront bien évidemment pour gonfler les prix ; le kWh sorti des nouveaux EPR coutera deux fois plus cher que ceux des centrales actuelles, et que ceux des renouvelables. Le pouvoir d’achat et la compétitivité des entreprises en seront lourdement impactés.

Un autre volet de la politique proposée est l’accent sur la recherche. Une recherche dont l’objectif est annoncé : protéger le mode de vie des Français. Une recherche qui résoudra tous nos problèmes sans avoir à changer quoi que ce soit à notre mode de vie. Nous retrouvons, transposé, la célèbre phrase de Georges Bush père, « le mode de vie des américains n’est pas négociable ». Pauvre recherche confinée à un rôle de dorlotement de notre société, dans un monde en ébullition et en transformation profonde. Nous préférons une science tournée vers l’avenir, « deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources », pour reprendre le sous-titre du livre « Facteur 4 », écrit à la demande d’un groupe d’industriels, le Club de Rome (1).

La prise de position du Rassemblement National à un mérite : Son volet électoraliste met en évidence l’écart entre la réalité perçue ici et maintenant, en « micro-économie » notamment dans les milieux ruraux, et les enjeux globaux suivis dans la durée en termes macro-économiques et géopolitiques. Un écart exploité à fond et sans vergogne, alors qu’il serait plus conforme à la fonction d’un parti politique de tenter de le réduire, et de proposer une voie pour y parvenir.

Cette démarche est rendue possible en bonne partie par les défauts de la communication écologique. Nous ne sommes pas parvenus à offrir en perspective un futur attractif. L’accent est mis sur nos fautes, nos excès qui compromettent le futur, et sur la nécessité de réduire notre train de vie pour sauver la planète. Un discours anxiogène et culpabilisant. Il est vrai que la planète se porte mal, et que le mode de vie des pays industrialisés est la cause des dérèglements qui pourraient affecter durement l’aventure humaine, mais ce n’est pas en provoquant la panique souhaitée par Greta Thunberg que nous parviendrons à rendre le changement « désirable ». Oui, il va falloir changer nos modes de vie, et le changement peut nous faire peur, nous faire craindre une dégradation de ce fameux mode de vie. Et justement, si nous voulons conserver notre qualité de vie, et même l’améliorer, il va falloir changer. Ne rien faire, le retour à un passé idéalisé, conduit inéluctablement à un déclassement. Le changement est impératif pour vivre mieux, un changement porteur de progrès humains, un changement à inventer car il ne sera pas dans le prolongement de la « croissance » telle que nous connaissons. Une nouvelle forme de développement humain à laquelle chacun est appelé à apporter sa pierre. Nous ne le ferons pas en brandissant des menaces et des anathèmes, mais en mobilisant le plus grand nombre sur des objectifs séduisants, qui donnent envie de s’engager. C’est la meilleure réponse aux arguments du RN.

1 - Facteur 4, Rapport au Club de Rome daté de 1997, d’Ernst U. Von Weizsäcker, Amory B. Lovins, et L. Hunter Lovins, Terre Vivante pour l’édition française.

Edito du 22 août 2023

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Un nouveau modèle d’affaires

C’est la Chambre de commerce et d’industrie de Paris qui le dit : Pour les entreprises, le développement durable conduit à adopter un nouveau modèle d’affaires, bien au-delà de petits ajustements ou arrangements locaux.

Comment imaginer un développement sans les entreprises ? Le développement durable n’échappe pas à cette nécessité, nous ne réussirons pas la « transition » sans les entreprises et les entrepreneurs. Le discours écologiste leur a souvent semblé hostile. Il est vrai que l’activité des entreprises a longtemps ignoré l’environnement, perçu comme une contrainte, allant parfois jusqu’à une forme de négationnisme. La position court-termiste de certaines qui font encore fi du réchauffement climatique ne peut que conforter une méfiance réciproque entre écolos et entreprises. Nous ne progresserons guère vers la durabilité en restant sur cette situation. Heureusement, l’état d’esprit des entreprises évolue, de nombreux indices en font état. Même le green-washing a pu y contribuer.

Une note de Novethic du 6 juillet dernier, par exemple, nous explique le processus : Pour commencer, elles tentent d’écologiser leur image. Elles proclament une neutralité carbone en pratiquant des compensations. Celles-ci sont souvent illusoires, de plus en plus d’études l’ont constaté. Ce pseudo engagement les a malgré tout mis sur la voie. Les exigences de leurs clients, et souvent de leur personnel, ont monté d’un cran, et les voilà au pied du mur. Certaines choisissent d’abandonner cyniquement un discours trop décalé par rapport à la réalité, en se référant aux exigences des actionnaires. Les masques tombent. D’autres, au contraire, abandonnent leur politique de compensation pour s’attaquer enfin aux questions de fond, comment « verdir » réellement leur activité. Il était temps, saluons cette évolution.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les entreprises s’intéressent à l’environnement. Il y a évidemment les contraintes légales, qui ont pu pousser certaines à en faire plus, pour se mettre à l’abri ou pour prendre une longueur d’avance. Des associations professionnelles se sont créées pour accompagner ce mouvement, telles que Entreprises pour l’Environnement et OREE, en 1992, et le Comité 21, en 1995. Des fédérations professionnelles ont créé des commissions environnement spécialisées dans leurs domaines. Des certifications nationales, européennes et internationales ont proposé des repères aux entreprises volontaires.

Plus récemment, à la suite de la convention citoyenne pour le climat, s’est créée en 2020 la Convention des entreprises pour le climat  Objectif : « rendre irrésistible la bascule de l’économie extractive vers l’économie régénérative avant 1930 ». L’année suivante, c’est le Grand défi des entreprises, pour mobiliser « les entreprises et leur écosystème pour créer un nouveau modèle de prospérité économique, humaniste et régénérative ». Bien sûr, parmi les adhérents de ces organismes, il y a des opportunistes, qui veillent à leurs intérêts, mais le mouvement est bien réel et il prend de l’ampleur.

L’évolution de la CCIP, chambre de commerce et d’industrie de Paris est significative à cet égard. En septembre 2021, est présentée en Assemblée générale une « prise de position au nom de la Commission Économie et financement des entreprises et du Groupe de travail « Rapprocher la chaîne de valeur au plus près du client ». Une prise de position  concernant les PME-TPE pour favoriser « une dynamique de changement », « accélérer l’innovation et la transformation productive des entreprises », et « raisonner en chaîne de valeur globale ». Une perspective de progrès fondée sur une nouvelle approche de la chaîne de valeur, dite « globale », qui se retrouve en juin 2023 dans une étude prospective de la CCIP intitulée « La sobriété au cœur des modèles d’affaires de demain ». Il ne s’agit plus d’améliorations techniques, mais d’une remise en question du « modèle d’affaires ». Une transformation profonde, qui ne peut se concevoir sans « une appropriation plus large par un récit collectif à l’attention de tous les acteurs, un travail sur la manière dont les humains comprennent leurs besoins, une interrogation sur la question du “quoi produire ?” et un élargissement des référentiels comptables à la dimension environnementale ». L’entreprise est partie prenante de la société, et ne peut évoluer séparément, mais elle peut jouer un rôle moteur et doit s’y préparer.

L’entreprise moteur de la transition écologique, voilà une bonne nouvelle dans un monde qui doute de son avenir. Espérons que ce discours innovant sera entendu par les responsables desdites entreprises, petites et grandes !

Edito du 16 août 2023

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Grands fonds : exploitation ou exploration ?

La tentation est forte, et elle ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, le premier organisme scientifique créé en France sur les fonds sous-marins évoquait clairement l’objectif : le CNEXO, centre national pour l’exploitation des océans, comme l’organisme actuel, l’IFREMER, institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, n’hésitent pas à mettre en avant le mot Exploitation. Il aurait été plus logique de choisir le mot Exploration, pour un monde où les inconnues sont nombreuses, mais non, dès que la présence de nodules métalliques a été confirmée, il a fallu l’exploiter, avant même de l’avoir explorée. Tirer toujours plus de ressources de la planète. Sans doute une manière de retarder le fameux jour du dépassement, le jour de l’année où l’humanité aura consommé tout ce que la planète peut produire en un an, le 2 août pour cette année 2023, en légère amélioration, mais il était le 1er octobre en l’an 2000. La tendance reste la même, cherchons de nouvelles ressources, plutôt que mieux utiliser celles aujourd’hui disponibles. Une fuite en avant.

L’exploitation minière des fonds marins est à l’ordre du jour. Une instance internationale en a la responsabilité, l’autorité internationale des fonds marins, AIFM. La pression est forte de la part de certains pays d’autoriser l’ouverture de chantiers dans les abysses, et d’autres s’y opposent ou demandent des garanties. C’est que la planète forme un tout, et toucher à telle ou telle partie a des conséquences sur d’autres. Fouiller les fonds marins va bouleverser les équilibres dans un milieu largement inexploré, et qui recèle surement bien d’autres ressources. La conséquence en sera également de produire des mouvements de sédiments et de matériaux qui monteront à la surface ou dans les couches où prospère la vie marine que nous connaissons. Ce sont tous les écosystèmes océaniques qui seront touchés.
Les biologistes ont identifié des milliers d’espèces vivant au contact du plancher océanique, dans ces grands fonds objets du désir. Une infime minorité a été décrite, et leur fonctionnement dans un milieu a priori très hostile est un mystère dont la clarification pourrait nous être très utiles en ces temps de dérèglement climatique. Le vivant revêt des formes inédites, qu’il nous faut comprendre. Plus près de la surface, c’est la capacité des océans à capter et stocker des gaz à effet de serre qui est en jeu, et ce n’est pas le moment de prendre des risques sur ce point. Les appels à la prudence sont nombreux, allant du moratoire à l’interdiction pure et simple d’exploitation.

Il est question d’un code minier qui régirait l’exploitation des grands fonds, mais il a du mal à émerger. Pour l’instant, toute décision a été repoussée à une assemblée générale de l’AIFM, dans un an. C’est dans ces circonstances que le principe de précaution prend tout son sens. Des enjeux graves et irréversibles dans une situation d’incertitude. Il s’agit alors de lever les incertitudes, et de lancer les travaux nécessaires pour cela. Un principe de maitrise des risques dont l’application semble s’imposer avant de lancer une exploitation dans l’inconnu.

Les grandes nations dépensent beaucoup d’argent pour explorer l’espace. Ce n’est pas le mot exploitation qui est en vogue pour les étoiles, mais conquête. Ce n’est pas mieux, d’autant que des objectifs militaires sont très présents aux côtés des « civils », dont le but est de coloniser des planètes et d’exploiter (nous y revenons) leurs ressources. Sans doute parce que moins spectaculaires ou moins visibles, les fonds marins semblent moins attirer l’attention et les capitaux. Ils sont largement méconnus mais ils participent au fonctionnement de la planète, à ses grands équilibres aujourd’hui fragilisés par le réchauffement climatique et la chute de ma biodiversité. Un grand programme, en coopération internationale, d’exploration de cette partie de notre monde ne serait pas du luxe. Des recherches existent aujourd’hui, mais nous sommes loin du compte si l’objectif est d’exploiter ce qui représente la plus grande part de la surface du globe.

Il a fallu 18 ans de négociations multilatérales, pour obtenir un traité international sur la biodiversité marine. Le mot Exploitation ne figure pas dans son titre, mais le mot Utilisation, associé à un autre, Conservation. Les deux vont de pair. Un traité voté à l’unanimité par 193 États le 4 mars 2023, au siège des Nations unies à New York.
Le communiqué des Nations Unies annonçant sa mise en application, fixée au 19 juin de cette année, mentionne bien tous les apports de la biodiversité marine : « L’utilisation de la haute mer procure à l'humanité des avantages inestimables sur les plans écologique, économique, social, culturel, scientifique et de la sécurité alimentaire ». S’y ajoute l’alerte sur la « pression croissante due aux activités humaines, à la pollution (y compris sonore), à la surexploitation des ressources, au changement climatique et à la diminution de la biodiversité ». Une approche qui conjugue l’utilisation des ressources au profit de l’humanité et la prospérité de la planète. Une approche qui conviendrait bien aussi aux grands fonds marins.

Edito du 9 août 2023

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La nouvelle ingénierie

Tant que nos besoins fondamentaux, le gîte et le couvert, plus la santé au sens de l’OMS, n’étaient pas satisfaits, l’ingénierie s’est focalisée sur la production. Il fallait trouver de nouvelles ressources et les transformer, les conserver, les transporter, pour les mettre à disposition des consommateurs. Mot d’ordre : toujours plus.
Dans nos pays considérés comme développés, le contexte a changé. Et toute la planète est concernée. Fini le « plus » sans limite, il s’agit de consommer mieux. Objectif : satisfaire nos besoins, toujours, mais en préservant les ressources. Un changement d’approche qui met l’accent sur ces fameux besoins, jusqu’à présent pris sans considération comme les moteurs de la croissance. Les besoins assujettis à la production. Constater qu’un besoin n’a plus de justification était considéré comme une atteinte au droit de produire, une cause de chômage. Les besoins artificiels sont devenus indispensables au bon fonctionnement de l’économie. La crise de 1930 en a été le révélateur, avec la célèbre entente des fabricants d’ampoules qui les ont programmées pour réduire leur durée de vie. L’obsolescence programmée était reconnue par les économistes, elle devenait légitime.

Les limites de la planète, le besoin, aussi, de nourrir toute la population mondiale et de lui assurer un minimum de services, a changé la donne. Il faut revenir au besoin, y compris les envies qui donnent du plaisir et de la joie de vivre, pour les satisfaire sans dégrader le potentiel de ressources dont l’humanité dispose. L’ingénierie toujours, mais au service de la consommation. La performance n’est plus de produire plus, mais de satisfaire un besoin au moindre prélèvement de ressource, et par suite au moindre rejet de résidus dans l’environnement. C’est le principe, par exemple des certificats d’économie d’énergie. Eclairer et chauffer en consommant le moins d’énergie possible, voilà le chalenge d’aujourd’hui, alors qu’hier, c’était produire le plus possible d’énergie, et le moins cher possible. Une fois vendue, son usage n’intéressait plus les producteurs, qui se réjouissaient même du gaspillage. Rappelez-vous les grandes heures d’EDF quand étaient organisés des concours des villes les plus consommatrices d’électricité, une marque de progrès à l’évidence, et même de prestige.

Il faut introduire de l’ingénierie dans la consommation. L’écart est important entre l’électricité que vous achetez, faussement appelée énergie finale, et celle qui vous est réellement utile. C’est le rendement des matériels que vous utilisez, pour vous chauffer, faire tourner vos équipements, vous éclairer, et surfer sur Internet. C’est là qu’il y a des vrais progrès à faire, le bon usage de l’énergie. L’ingénierie au service de l’usager, et non plus au service du producteur.
Les certificats d’économie d’énergie sont nés de cet objectif. En intéressant financièrement le producteur au bon usage de son produit par ses clients, le projecteur s’est déplacé. Bien sûr, cela n’empêche pas la performance dans la production, mais s’y ajoute celle dans la consommation.

Mettre en place une économie de la non-consommation, et par suite de la non-vente, donc pas de circulation de monnaie, est plus délicat que celle de la consommation, où la sanction se traduit en termes financiers. C’est un système administré, sur la base d’une situation de départ, et d’une projection sur les gains envisageables compte-tenu des technologies disponibles ou émergentes.

La logique de cette économie à rebours trouve son application chaque fois qu’une tension se manifeste sur une ressource. Le cas de l’eau douce est significatif à cet égard. Comment satisfaire les besoins en eau en réduisant les prélèvements d’eau dans la nature ? Il y a bien sûr la lutte contre les fuites, avec la modernisation des réseaux, il y a le renouvellement des matériels, comme le lave-vaisselle, ou l’adjonction de petits équipements comme des mousseurs, il y a la promotion de comportements économes, comme la douche plutôt que le bain. Meilleure gestion de la ressource chez le producteur, chez le consommateur grâce à des produits plus vertueux et des actions sur les comportements. Ingénierie chez le producteur, une autre chez le consommateur, et des campagnes de sensibilisation, d’accompagnement de nouvelles pratiques, nous retrouvons les mêmes ingrédients que pour l’énergie. Pour prendre l’exemple d’une grande ville, Lille, son fournisseur d’eau, Véolia, s’est engagé sur un « contrat de performance hydrique » pour obtenir 10 % de réduction des consommations d’eau avec ces différentes composantes.
L’ingénierie, c’est du savoir-faire, de l’ingéniosité, le goût de l’innovation et l’envie de sortir des sentiers battus. Du génie humain, décarboné par nature, immatériel, et sans limites physiques comme en connaissent les biens matériels. Une ingénierie tous azimuts, sur tout le cycle de vie, car il faudrait y ajouter celle nécessaire pour recycler et valoriser les produits en fin de vie. Une ingénierie pour substituer du talent humain à des ressources naturelles dont la disponibilité se rapproche des limites de la planète, et les a même dépassées dans certains cas. Une ingénierie dont il faut faire bon usage, notamment au profit des consommateurs. Quel gâchis de la retrouver mobilisée pour rechercher et exploiter de nouvelles ressources, dans des conditions extrêmes et dangereuses, au lieu de se concentrer sur la meilleure manière de valoriser les ressources disponibles !

Edito du 2 août 2023

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L’habitant est de retour !

Réjouissons-nous, l’habitant est de retour dans son habitat. Les nouvelles orientations des travaux post RE 2020, la réglementation environnementale de 2020 pour les constructions nouvelles, adoptent « une approche plus large sur des sujets environnementaux », sous le nom de CAP 2030.

Il était temps. La préoccupation du carbone, légitime évidemment, avait fait oublier que les logements et les locaux d’activité étaient destinés à accueillir des êtres humains. Pour le dire simplement, on ne construit pas un logement pour faire des économies d’énergie et capter du carbone, mais pour offrir à ses habitants un cadre de vie agréable et sain. Un objectif passé au second plan si l’on en croit la terminologie des labels et réglementations, comme E+C-, faisant exclusivement référence à l’énergie et au carbone, en oubliant la qualité du service rendu, raison d’être du bâtiment. Dans la pratique, ce label n’oubliait pas d’autres paramètres, comme l’acoustique et la qualité de l’air intérieur, mais les reléguait loin derrière l’exigence climatique. L’absence de référence à la qualité du point de vue de l’occupant était un signe préoccupant et contre-productif. L’énergie et le carbone sont évidemment des aspects incontournables, mais très techniques, difficiles à appréhender, peu mobilisateurs pour les futurs utilisateurs, plus soucieux de leur confort et de leur santé que de contrôler la quantité de carbone émise dans l’atmosphère du fait de leur logement. Le secteur de la construction et du bâtiment, responsable de la consommation de près de la moitié de l’énergie en France, et du quart des émissions de gaz à effet de serre, devenait la figure de proue des programmes climatiques, mais apparemment sans considération réelle pour les occupants. Ne nous étonnons pas ensuite du peu d’empressement des intéressés pour la rénovation de leurs locaux. Les programmes ambitieux souvent proclamés sont loin d’être exécutés. Le discours porte sur les aides pour réduire un effort, mais guère sur les avantages personnels que chacun peut y gagner immédiatement. Il y a mieux pour motiver.

L’environnement intérieur, celui où les futurs habitants vivront, retrouve aujourd’hui une bonne place parmi les préoccupations affichées. Rappelons que le concept de haute qualité environnementale (HQE), né dans les années 1990, avait adopté cette vision large de l’environnement, à nouveau évoquée aujourd’hui. Un progrès significatif, par rapport aux approches précédentes, focalisées sur tel ou tel aspect particulier : l’énergie, bien sûr, avec l’approche bioclimatique, mais aussi les matériaux comme le bois ou la terre crue. La première réglementation thermique des bâtiments était née en réaction aux chocs pétroliers des années 1970. Prise isolément, l’exigence énergétique avait conduit notamment à réduire la taille des fenêtres et les capacités de renouvellement d’air. Résultat : moins de lumière naturelle, humidité et moisissures avec les conséquences sur la santé. Ajoutons que l’isolation thermique n’est pas par nature acoustique, et les grands programmes d’isolation thermiques de cette époque n’ont pas intégré le bruit, même quand le sujet s’imposait, pour des immeubles tout proches d’autoroutes par exemple. Une occasion ratée de faire d’une pierre deux coups, en adoptant des techniques thermo-acoustiques au lieu de techniques exclusivement thermiques. Et l’isolation purement thermique peut parfois détériorer les qualités acoustiques d’un bâtiment. Les différentes caractéristiques d’une construction sont très liées entre elles, et les traiter séparément peut conduire à des désillusions sévères.

Comme ses sœurs britanniques et américaines, BREEAM et LEED, la HQE innovait en proposant une approche transversale, multicritères. L’environnement de proximité, celui des habitants, santé et confort, était pris en charge au même titre que celui plus général des ressources, du régime des eaux, et des pollutions. Evitons ainsi que l’amélioration sur un point particulier produise des dégradations sur un autre, et profitons des travaux pour intégrer toutes les dimensions de l’environnement dans le contexte de chaque projet.

La montée en puissance des thèmes de l’énergie et de l’effet de serre a provoqué l’affaiblissement des approches transversales, et le retour aux approches ciblées. Bien sûr, il fallait approfondir ces thèmes, et renforcer les exigences, mais pas au détriment des usagers. Saluons le retour de cette préoccupation, qui répond à des enjeux de santé publique et de bien-être. Des enjeux susceptibles de motiver les acteurs, et d’orienter la demande sociale. Il est possible aujourd’hui à la fois de répondre à des urgences planétaires, et d’offrir le plaisir de vivre dans un environnement sain et agréable. Un double dividende à cultiver sans modération. Souhaitons plein succès à CAP 2030 !

Edito du 26 juillet 2023

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La restauration de la nature : une aubaine

La bataille est encore loin d’être gagnée. Les procédures européennes étant ce qu’elles sont, il reste plusieurs étapes à franchir pour que la loi européenne sur la restauration de la nature soit définitivement adoptée. Mais le ton est donné par un vote du Parlement européen, le 12 juillet dernier. A l’issue d’un affrontement parfois violent entre partisans et opposants, soutenus chacuns par leurs lobbys, et de l’adoption de nombreux amendements, le Parlement a adopté le projet, qui doit à présent poursuivre son chemin entre Conseil et Commission, pour une validation définitive. Le green deal, pacte vert européen en bon français, est en marche, malgré les critiques dont il est l’objet.

Les atteintes à la nature sont nombreuses, et elles ont un coût économique de plus en plus lourd. Celui de la dégradation des sols dans l'Union Européenne, par exemple, dépasse désormais 50 milliards € par an. Des règlements visent à réduire ces atteintes, mais il convient d’aborder au plus vite la phase complémentaire, la restauration de la nature. La question des sols est déterminante à cet effet, de leur usage, de leur mode d’exploitation, à la campagne et dans les villes.
Voilà donc de nouvelles contraintes qui vont affecter des activités et des collectivités, ce qui a provoqué des résistances d’une bonne partie des députés européens, surtout à l’approche du renouvellement du Parlement. Mais les avantages sont nombreux, et les contraintes, si elles ne sont pas du fait des lois humaines, se manifesteront du fait des lois de la nature. Il vaut mieux anticiper et piloter l’incontournable transformation de nos pratiques, plutôt que se les faire imposer par des évènements incontrôlés et douloureux.

Globalement, les investissements pour la restauration de la nature sont une bonne affaire. « Nous devons mettre un terme à ce mythe selon lequel la protection de la nature ne serait qu'un coût sans rendement. Au contraire, chaque euro investi dans la restauration se traduit par 8 euros de gains, liés aux avantages d'un écosystème sain, affirme Virginijus Sinkevicius, commissaire européen chargé de l'Environnement, des Océans et de la Pêche. 8 euros est une hypothèse basse, prudente. Le retour d’investissement monte jusqu’à 38 € selon le type d’écosystème. Pour prendre un exemple, les avantages attendus de la restauration des tourbières, des marais, des forêts, des landes et des fourrés, des prairies, des rivières, des lacs et des zones humides côtières, sont estimés à plus de 1 800 milliards €, pour un coût d'environ 150 milliards €.

Les avantages sont toutefois diffus, souvent collectifs. La santé, la productivité des sols, le climat, la disponibilité d’eau douce, l’activité touristique, représentent des bénéfices à la fois privés et publics. La crainte de les voir passer sans en profiter pousse certains secteurs à défendre un statu quo. C’est le cas de l’agriculture dite conventionnelle, dont le modèle économique privilégie les grandes surfaces et le machinisme alors que la restauration conduirait à la plantation de haies et à redécoupage des exploitations. Ils craignent une perte de surface cultivable. Ils ont du mal à croire les scientifiques qui affirment que les infrastructures agroécologiques qui couvriraient 10 % à 20 % de la surface agricole auraient un effet neutre à positif sur la productivité alimentaire, en plus des bénéfices pour la biodiversité. Le « double dividende » est toujours suspect.

A l’inverse, un groupe de grandes entreprises, dont certaines ne s'étaient pas fait remarquer pour leur amour de la nature, bien au contraire, ont manifesté leur soutien à cette loi européenne. Il y a bien sûr des arrière-pensées, notamment cultiver leur image et ménager leur réputation, prendre place parmi les acteurs qui négocieront les modalités d’application de la loi, mais cet engagement dénote une prise de conscience de leurs intérêts. La dégradation de la nature met en danger « les fondations de nos activités économiques » déclarent ces 67 entreprises, parmi lesquelles figurent Nestlé, Coca-Cola, Accor, Unilever, Ikéa, Danone, et bien d’autres encore. La restauration de la nature est devenue un enjeu économique, en plus de sa dimension éthique. Les bénéfices attendus des investissements au titre de la restauration sont espérés par ceux qui les soutiennent, et les grands groupes se positionnent dans cette perspective. Le rendement de 8 pour 1 au minimum leur semble suffisamment crédible pour qu’ils s’engagent.

Entrer dans la logique de la restauration suppose souvent un changement de fonctionnement pour les entreprises. Ménager le patrimoine naturel, veiller à sa prospérité, est une préoccupation nouvelle pour tous celles qui ne cherchaient qu’à en tirer le maximum de bénéfices. Une nouvelle manière de considérer l’activité humaine et ses conséquences. La difficulté est grande, pour beaucoup d’entreprises, de toutes tailles, de transformer la « culture d’entreprise », souvent héritée des fondateurs et influencée par les financiers. C’est pourtant l’épreuve que devront affronter la plupart d’entre elles, pour croître et embellir dans le monde qui se dessine. Le développement durable, c’est un nouveau mode de penser.

Edito du 19 juillet 2023

Commentaire de Yves Poss, en date du 19 juillet 2023

La gestion forestière n’est pas directement évoquée, dans son évolution nécessaire, notamment pour « ménager » les sols. Il ne s’agirait pas seulement de corriger certains choix de gestion, comme la « transformation » de peuplements par coupe rase, parfois abusivement retenue, et aidée par l’État. Mais d’analyser comment l’organisation de l’exploitation, donc le système de vente des bois, et la rémunération des bûcherons et débardeurs à la quantité mobilisée, et non pas à la qualité du travail fait,  peuvent amener à dégrader les tiges en réserve, les milieux (associations végétales), et surtout les sols.

À mon sens, il faudrait analyser l’organisation même, le partage des tâches, pour retenir un « système » vertueux.

Qui en a fait l’analyse complète (méthode de l’arbre des causes, par exemple), pour proposer des alternatives aux pratiques actuellement dominantes ?

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Le monde change, profitons-en !

Le président cherche les causes profondes de la crise qui vient de secouer notre pays au nom de Nahel. Une démarche nécessaire pour apporter les bonnes réponses à la suite de cette épreuve, qui vient s’ajouter à quelques autres, d’ordre social, sociétal ou économique. Les crises à répétition ont chacune leur cause, mais leur accumulation laisse penser qu’il existe un fond de décor qui en favorise l’émergence. Chacune apporterait ainsi un éclairage particulier à un état général de crise, la moindre étincelle pouvant mettre le feu aux poudres. Le décalage entre l’offre politique et la réalité vécue est souvent évoqué. Il pourrait bien être le terreau sur lequel prospère cet état de crise, attisé bien sûr par des mouvements politiques ou sociaux qui espèrent en profiter.

C’est une banalité de dire que le monde change, et ce n’est qu’un début. Un cadre nouveau se constitue sous nos yeux. Citons notamment la puissance extraordinaire des interventions humaines, qui font aujourd’hui concurrence à la géologie, puisqu’il est question d’anthropocène ; les nouveaux équilibres géopolitiques, qui transforment les relations entre les nations et provoque des migrations brutales ; l’explosion des technologies de l’information, des satellites aux réseaux sociaux, en passant par l’intelligence artificielle ; et évidemment la « finitude du monde », dont beaucoup refusent de prendre conscience, malgré la pression de plus en plus visible du dérèglement climatique.

Le monde change, mais nos esprits ont du mal à suivre, encore plus à anticiper. Nous raisonnons encore comme avant, avec le système de pensée et les références dont nous avons hérités. Les conséquences de cette résistance se font sentir durement. En premier lieu une forme de désarroi, d’incompréhension. La situation est vécue différemment selon des types de population, ce qui provoque des frottements parfois violents. Dans ces moments d’incertitude, chacun tente de s’accrocher à des « valeurs sures ». La religion, l’identité, deviennent des boussoles pour beaucoup. Elles sont obsolètes, elles aussi, mais il est facile de leur donner une allure d’éternité. Tous les pêcheurs en eau trouble trouvent dans le désarroi un milieu favorable à leurs pratiques.

Sentiment de déclassement pour les uns, d’exclusion pour d’autres, nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent plus dans le milieu où ils ont toujours vécu. Une perte de repères qui affecte aussi l’autorité, phénomène accentué par les nouvelles techniques de l’information. La « vérité » devient relative, les « sachants », professeurs, docteurs, dirigeants, sont remis en question. De nombreux acteurs économiques, y compris les institutions financières, sont restés dans l’ancien monde, et ont du mal à admettre que les règles du jeu ont changé. L’inertie dans les modes de pensée est forte, comme le disait l’économiste John Maynard Keynes : « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ». Il en résulte des impasses et surtout une incapacité à anticiper. Les forces dominantes ont établi leur puissance dans l’ancien monde. Elles cherchent à le prolonger, et s’appuient pour cela sur les besoins de la transition. Nous aurons encore besoin de pétrole et de charbon pendant des années, alors continuons à chercher de nouveaux gisements, à investir dans de nouveaux équipements, qu’il faudra bien amortir, bien sûr. Le coût de la transition, qui sera d’autant plus élevé qu’elle sera tardive, est mis en avant, et celui de l’inaction, du « Business as usual », beaucoup plus élevé, est passé sous silence.

Cette situation nous conduit à des désastres économiques et écologiques, à une perte d’influence de la France dans le monde, et aussi à des troubles sociaux consécutifs à l’incompréhension de la formidable transformation du monde à laquelle nous assistons. Nous entrons à reculons dans le monde de demain. Aucune chance, dans ces conditions de reprendre notre destin en main, d’offrir des perspectives pour réduire le décalage entre le monde d’aujourd’hui et les perceptions issues du monde d’hier. Le nouveau monde qui se construit n’est pas le nouveau monde de nos rêves. Il n’est pas pour autant plus mauvais, il peut même être meilleur si nous participons à sa construction.

Le discours « il faut protéger les Français » maintes fois repris par les partis dits de gouvernement qui se sont succédés aux commandes, a renforcé ce besoin de conserver nos modèles culturels, au lieu d’inciter à les faire évoluer et de stimuler l’envie d’être les premiers à en proposer au monde, comme la France l’a fait en 1789. C’est un défi à relever qu’il faut présenter, en prenant soin que chacun puisse se sentir concerné personnellement, que chacun puisse en tirer avantage. Avantage en termes de statut social, de mode de vie, de confiance en soi. Apprenons à tirer parti des changements qui transforment le monde, au lieu de s’en plaindre et de laisser passer nos chances.

Edito 12 juillet 23

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