Croissance
La manière de mesurer un phénomène a souvent de l'influence sur ledit phénomène. En période de crise, pour explorer des issues originales, ne faut-il pas changer les instruments de mesure de la croissance ?
Il est d'usage d'utiliser le produit intérieur brut, le PIB,pour mesurer la croissance d'un pays. Nous connaissons les limites de cet indicateur, nous savons notamment qu'il ne tient la comptabilité que des recettes, et qu’il néglige les ingrédients nécessaires pour les obtenir. Pour reprendre et paraphraser une expression bien connue : les bénéfices sont pris en compte, et les pertes, que les économistes appellent des externalités négatives, se perdent dans la nature…
La banque mondiale vient de publier un rapport très intéressant sur la croissance de la Chine(1). On y trouve évaluées les dépenses environnementales. La dégradation de l'environnement et l'épuisement des ressources représentent 9 % du revenu national. À comparer à la croissance de l'ordre de 10 %. On le voit cette croissance n'est, pour l'essentiel, que la réalisation d'un capital déjà existant. Ce n'est pas une création de richesse nette. Il ne s'agit, en fin de compte, que d'un prélèvement de ressources, qui fait passer la dégradation du capital pour de la croissance. Une fausse croissance pourrait-on dire, une croissance apparente qui, selon la banque mondiale, « pourrait précipiter la Chine dans une crise économique et sociale ».
Dans le même rapport, la banque mondiale précise que la dégradation de l'environnement ne pèse que 1 % dans d'autres économies, comme celle de la Corée du Sud et du Japon. Elle suggère donc une transformation en profondeur de l'économie chinoise, pour réduire son coût environnemental et s'orienter vers de nouvelles productions. C'est un modèle de croissance verte qui est proposé : « Seizing the Opportunity of Green Development in China ».
Les économistes anglais de la New Economics Foundation(2) (NEF) ont fait des observations équivalentes dans d'autres économies. L'indicateur qu'ils ont constitué, le HPI, Happy Planet Index, rapproche trois types de données, des données économiques traditionnelles, des données de qualité de vie comme l'espérance de vie ou l'état sanitaire de la population, et des données relatives aux ressources prélevées. La comparaison des États-Unis d'Amérique et de l'Allemagne est riche d'enseignements : pour des performances équivalentes en termes économiques et humains, l'Allemagne utilise la moitié des ressources consommées par les États-Unis, rapportée au nombre d'habitants.
Le concept de croissance ne peut être dissocié de celui de l'efficacité dans l'usage des ressources. Nos sociétés industrielles se sont développées sur le modèle du monde infini. Pas de limites autres que géopolitiques pour l'accès aux ressources. Une politique d'écrémage, peu soucieuse de l'efficacité dans l'utilisation des ressources, en est résulté. Une politique d'exploitation « minière » où l'on prélève sur le stock sans souci du lendemain. Il s'avère aujourd'hui que le stock n'est pas infini, et que dans beaucoup de domaines, en approche du fond. Contrairement à ce que l'on peut penser, les premières victimes sont des ressources renouvelables.
L’une d'elles est l'eau douce. Elle se renouvelle dans des cycles plus ou moins rapides, avec des stockages intermédiaires, naturels ou artificiels, et les flux que représentent les cours d'eau, l'évaporation, les nuages et les pluies. Une eau douce qui ne représente que moins de 1 % de l'eau à la surface de la planète. Une eau douce indispensable à notre vie et à notre économie, dont la disponibilité est aujourd'hui en débat au sixième forum mondial de l'eau qui se tient à Marseille du 12 au 17 mars 2012. Les mauvais traitements qu'on lui fait subir, la Pollution dont on la charge, les obstacles que l'on multiplie sur son parcours, les transformations dans l'occupation des sols, autant d'interventions humaines qui, petit à petit, mettent en péril cette ressource. La progression des déserts, notamment en Chine, la sécheresse et les inondations témoignent des dérèglements dont cette ressource est l'objet.
Une autre ressource renouvelable et le Patrimoine vivant. La question des prises de pêche en Mer illustre l'appauvrissement de ce capital naturel dont l'humanité tire une bonne partie de son alimentation, notamment de ces protéines.
Le thème de la conférence internationale qui se tiendra à Rio du 20 aux 22 juin 2012 est la croissance verte. Miroir aux alouettes ou de véritable espoir pour l'humanité, le débat est ouvert. Le mot « croissance » en soi est insuffisant. Croissance de quoi ? Avec quelles ressources ? Il faudrait à l'évidence défalquer les ingrédients dépensés du calcul de la croissance. C'est une croissance « nette » qui nous intéresse.
1 The World Bank & Development Research Center of the State Council, the People’s Republic of China,
China 2030, Building a Modern, Harmonious, and Creative High-Income Society , février 2012
2 http://www.neweconomics.org
Chjronique mise en ligne le 12 mars 2012
- Vues : 3732
Ajouter un Commentaire