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Âge d’or et grand bond en avant

Il arrive que les Cassandres aient raison. L'âge d'or de l'Amérique, avec son « Liberation day », inquiète le reste du monde et nombreux sont ceux qui prévoient de mauvais jours pour quelques milliards d'humains. D'ores et déjà les conséquences du retrait américain sur l'USAID, évoquée notamment lors du sommet « Nutrition for growth » à Paris le 27 et 28 mars dernier, se font cruellement sentir. Ce seraient un million d’enfants qui seraient privés de leur traitement, et des chaines d’approvisionnement de zones sinistrées qui se voient compromises pour longtemps. Age d’or, donc, pour les Américains, catastrophe humanitaire au Nigéria, en République démocratique du Congo ou encore au Bengladesh. Situation paradoxale quand on sait qu’un dollar investi pour la nutrition entraîne un retour d’investissement de 23 $, et qu’à l’inverse, l’inaction dans ce domaine coute 41 000 milliards de $ sur 10 ans, selon la Banque mondiale.

Le « liberation day », de son côté, n’a pas encore produit ses effets, mais il va bouleverser le commerce international dans une économie mondialisée. Une bonne occasion pour les Cassandres de s’exprimer.

Ce type de grand mouvement, pour ne pas dire grand coup de balai, est rare en période de paix, et toute comparaison serait évidemment abusive. Tentons-en une, malgré tout, juste pour se donner une idée des conséquences. Le Grand bond en avant, dans la Chine de Mao, à la fin des années 1950, est du même tabac. Fi des équilibres et des usages, c’est un nouvel ordre des choses qui s’impose du jour au lendemain. Le résultat s’est compté en dizaines de millions de morts, dans les campagnes chinoises essentiellement. Surproduction de produits de mauvaise qualité, notamment d’acier, et chute de la production agricole ont été les principaux effets de ce bond en avant, dont l’objectif était de rattraper en 15 ans les retards de la Chine par rapport à l’Occident. Un échec cuisant. A noter tout particulièrement l’affaire des 4 nuisibles. Une grande campagne est lancée pour éliminer les rats, les mouches, les moustiques les moineaux. Ces derniers étaient notamment accusés de manger le grain des paysans, il fallait donc les exterminer. Le président Mao n'avait pas vu que les oiseaux mangeaient également les insectes ravageurs, si bien que leur absence a laissé proliférer crickets et sauterelles, qui se sont gavés sur les cultures. Les effets concernant les rats, les mouches et les moustiques non pas été aussi massifs mais nous savons que ces animaux contribuent à un équilibre global, totalement remis en question par cette chasse aux nuisibles. Quels effets aura l’élimination de tous ces « parasites » qui vivent sur le dos des américains, pour reprendre le terme en vogue autour du Président des Etats-Unis ?

Une différence importante autre le grand bond en avant chinois et l'âge d'or américain se trouve dans l'étendue des territoires concernés. Les victimes du grand bond en avant sont pour l'essentiel en Chine, alors que l'âge d'or américain aura des effets dans le monde entier. La suppression de l’USAID l’a déjà montré, comme nous l’avons vu. Les barrières douanières et les taxes, les injonctions sur la conduite des affaires, concernent tous les pays ayant des contacts réguliers avec les USA. Les positions américaines sur des grands sujets comme le réchauffement climatique, la protection des océans et l’exploitation des grands fonds marins, sur la conquête de l’espace et sur le développement numérique vont à l’évidence influencer la gouvernance, qui ne peut qu’être mondiale, de ces questions dont notre avenir dépend fortement. Le coup d’arrêt sur de nombreuses recherches où les Etats-Unis occupaient une place majeure se fera durement sentir, en provoquant des ruptures dans les travaux au long cours et en bridant les échanges entre scientifiques du monde entier.

Les Cassandre pourraient bien se tromper, espérons-le, mais le danger est bien là. Bien sûr, nous savons que le mode de développement que la Terre connait depuis la révolution industrielle plus particulièrement ne peut pas durer éternellement. Il faudra de profondes remises en question pour que le développement humain soit « durable ». Nul doute que les réponses seront porteuses de risques, avec leur part d’inconnu, ce qui demandera à la fois de l’audace et de la prudence, et surtout la prise en compte des connaissances que nous avons accumulées à travers le monde. Le mouvement qui nous vient d’Amérique en quête de son âge d’or ne remplit pas ces conditions, et semble rechercher des succès d’un autre temps, du temps où nous pensions que la planète était infinie. Un évènement qui nous tire vers le passé, mais qui survient au moment où nous devons conduire une transition historique à l’échelle de l’aventure humaine. Sans doute une réaction de peur du futur, qu’il faudra bien surmonter. Pour une recivilisation.

Edito du 9 avril 2025

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