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Ville et Campagne

Génie

Il s'agit ici d'un génie particulier, celui des lieux, à qui il convient de rendre un culte quand on le dérange, de manière à obtenir sa bienveillance et même sa complicité. Surtout si on a la "durabilité " en ligne de mire.

A l’approche des fêtes, parlons gastronomie et patrimoine local. Car le génie dont nous allons parler est le « génie du lieu », celui qui donne sa personnalité à un territoire, et à qui chacun de ses habitants se réfère implicitement.

Il y a les divinités des eaux, des forêts, des collines, qu’il convient de respecter, mais aussi les fées qui se penchent sur les berceaux, les magiciens qui vous donnent des talents. A Houdan (Yvelines), c’est la poule qui constitue ce talent. Une poule bien typée, avec sa huppe, une race très ancienne, on en parle dès le XIVe siècle, et une évidente source de richesse. Une richesse historique, hélas, c'est-à-dire dépassée dès que la concurrence a contraint à l’abandon des pratiques traditionnelles. La qualité n’est plus à l’honneur, place à la quantité. La volaille de Houdan périclite au cours du siècle dernier, et frôle l’extinction.  Quelques amateurs et collectionneurs la préservent, bien heureusement, et la voilà de retour, sous le signe de la qualité. La poule de Houdan, sous ses diverses formes du poulet à la poularde, revient sur les tables avec tous les honneurs. Elle retrouve progressivement sa place dans la culture et l’économie locale. Le génie du lieu est réveillé !
Cette histoire illustre bien la nécessité de faire allégeance aux caractéristiques de chaque territoire. A vouloir imiter un modèle, dont on observe le succès ailleurs, on entre en concurrence tout en abandonnant ses propres atouts. Et sur le terrain de ses adversaires de surcroît. Mauvaise stratégie. Mais attention à ne pas s’accrocher au passé. Le génie du lieu est vivant. Ce n’est pas un fossile et il évolue avec son temps. Une vénération qui en ferait une statue figée et immuable conduirait à l’aveuglement et finalement à une trahison. Tout l’art est de révéler ce génie et sa signification d’aujourd’hui.
Il peut revêtir de multiples habits. C’est la géographie, le climat, la géologie et les reliefs, c’est aussi l’histoire, les populations, les usages, les activités, les cultures, les savoirs et les savoir faire. Le potentiel d’un site est influencé par ses alentours, les autres territoires et communautés humaines parmi lesquels il s’inscrit. C’est sa position de carrefour ou de cul-de-sac au fond d’une vallée. C’est un génie « Arlequin », aux nombreuses couleurs, qu’il faut découvrir et comprendre, pour aller tenter de les sublimer dans les projets que l’on échafaude.
Cultiver sa différence, sa spécificité, pour mieux trouver sa place dans sa région et dans le monde moderne. Appliquons cette approche aux éco quartiers. Ils fleurissent aujourd’hui. Point de nouveau quartier, de ZAC, d’extension urbaine qui ne se proclame pas « éco » ou « durable ». Les méthodes pour y parvenir font l’objet de Livres et de colloques. Les innovations techniques, à intégrer dans ces quartiers pour les rendre plus performants sont nombreuses et forcent l’admiration : il s’agit d’économiser des matériaux, de recycler l’eau, de composter sur place les déchets organiques, de récupérer l’énergie des égouts, de favoriser la biodiversité, de créer des microclimats, et de bien d’autres choses encore.
Le risque est grand, dans ces conditions, de se faire dominer par la technique. Zéro empreinte carbone, autonomie énergétique et même énergie positive, infiltration totale des eaux, voilà des objectifs intéressants, mais qui ne sont qu’au deuxième rang. Ils doivent être au service du premier rang : Cet écoquartier, pour quoi faire ? Quel est le projet, humain, politique au sens plein du terme ? C’est la première question à se poser, même si le projet répond à un besoin évident, comme loger ou offrir des sites d’activité ou de loisir, besoin qui ne doit pas aveugler et empêcher la recherche du génie du lieu. Le besoin et le génie du lieu doivent entrer en résonnance.
C’est comme un bâtiment. On ne construit pas une maison pour faire des économies d’énergie, mais pour loger des êtes humains, avec leurs modèles dans leurs têtes, leurs envies, leurs attentes et leurs modes de vie. Comprendre ces enjeux est la première étape d’une construction HQE ou toute autre forme d’exigence en « durabilité ».
Il en est de même pour un quartier. Pas de projet « durable » sans la mise à Jour du génie du lieu. Pour « Faire avec », le valoriser à l’occasion des transformations que le lieu va connaître, et obtenir de lui de renforcer le lien naturel qui doit prendre corps entre un site et ceux qui le fréquentent, et qui doivent en devenir des « familiers ».
Pour les humains, on parle de « bilan de compétences », où l’on cherche à mettre en évidence le génie propre de chaque personne, parfois enfoui dans des profondeurs que l’intéressé a laissé tomber depuis longtemps. Le « bilan de compétences » d’un territoire consiste à retrouver le génie du lieu, de manière à mettre sa puissance au service du projet. Un projet qui ne peut être conçu sans rendre au génie du lieu l’hommage qui lui revient.

Chronique mise en ligne le 18 décembre 2012.

 

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