
Les comptes truqués
L’ensemble des observateurs le disent : nous assistons à un détricotage des lois environnementales en bonne et due forme. Haro sur l’écologie, profitons d’un évident besoin de simplification et surtout de mise en cohérence pour abandonner toutes les mesures qui entravent la croissance. Un débat et un argumentaire qui rappellent un peu celui du Brexit, rempli de mensonges, d’oublis et faux espoirs, et dont nous voyons les résultats aujourd’hui.
L’idée générale est claire : l’environnement coute cher, et nous empêche de produire. Une affirmation souvent entendue, avec des variantes, et qui justifie en ces temps difficiles des mesures radicales et dites courageuses ! Et pourtant, c’est l’absence ou la faiblesse des politiques environnementales qui coûtent cher. Les dégâts à réparer sont mis au compte de l’environnement, alors qu’une approche plus fine aurait permis de les éviter.
Prenons le cas de l’eau. Nous savons de mieux en mieux à quel point elle est chargée de pollutions diverses, issues de l’agriculture, de certaines usines, des stations d’épuration mal calibrées. Ça coute cher de la traiter pour la rendre potable ou seulement utilisable par certaines activités. Beaucoup plus cher que de la ménager et de ne pas la polluer, mais l’accent est toujours mis le coût de la dépollution, que nous payons dans nos factures d’eau, et jamais sur les précautions que nous aurions pu prendre pour l’éviter.
C’est que les comptes sont truqués. Les lunettes de nos comptables doivent être remplacées, pour qu’ils n’oublient rien. Toutes les activités s’inscrivent dans un contexte, un milieu naturel, une chaine d’approvisionnement, des déchets à éliminer. Elles utilisent des moyens collectifs, l’eau des rivières par exemple, ou l’air que nous respirons, mais aussi le calme, les oiseaux, les paysages, les sols, etc. soit comme ressource soit pour évacuer leurs rejets, et c’est bien normal. Ce qui l’est moins, c’est de considérer ce prélèvement de biens publics comme sans valeur, et comme un capital à disposition gratuitement. Rien n’est gratuit, et la facture est présentée à la collectivité, aujourd’hui ou demain. C’est le prix de la dépollution, de l’effet de serre, de la dégradation des sols, de la chute des « auxiliaires de culture », etc. Des dépenses publiques payées par tous, ou privées payées par des riverains par exemple, qui avaient le tort d’être mal situés. La mise en évidence de ces coûts, et le souci de « rendre à César ce qui est à César », change la vision que chacun peut avoir de l’économie.
Il est bien difficile de calculer le montant de ces dépenses. Certaines sont d’ordre monétaires, comme les dépenses de dépollution évoquées plus haut, ou les dépenses de santé qui affectent la sécurité sociale et par suite ses cotisants. Les nuisances peuvent par ailleurs compromettre certaines activités, comme les algues vertes sur les plages qui affectent le tourisme. D’autres relèvent d’atteintes à la biodiversité, ou encore à la qualité de la vie, comme le bruit, et entraîne un appauvrissement, une gêne ou une souffrance que les économistes et les tribunaux tentent de traduire en argent. Récemment, la destruction d’un pygargue à queue blanche a été évaluée à 81 000 euros au titre de préjudice écologique, à savoir l’ensemble des services que le rapace apportait aux humains. Ça donne une idée des sommes en jeu, mais les condamnations, qui révèlent l’importance du phénomène, restent rares. En termes macroéconomiques, le coût annuel de la pollution de l’air en France a été estimée dans un rapport sénatorial de 2015 à 100 milliards d’euros, bien plus que les accidents de la route par exemple. Des évaluations analogues pourraient être faites dans bien d’autres domaines, comme les effets des pesticides sur les dépenses de santé que leur usage provoque, qui permettrait de faire un bilan coût/avantage de ces produits sur un plan financier, puisqu’il est question ici du coût de l’écologie.
L’environnement, c’est aussi une bonne dose d’innovations. Celles-ci coutent cher, comme dans tous les domaines, mais leur prix diminue et les rend compétitives par rapport aux techniques qu’elles ont vacation à supplanter. Il est souvent question des énergies renouvelables, le solaire photovoltaïque et les éoliennes, avec des prix du kWh produit en chute libre, au point qu’elles remboursent aujourd’hui, et au-delà, les subventions publiques qui ont permis leur démarrage. Un autre exemple, dans le même domaine, concerne les batteries, pour stocker l’électricité. Le prix du kWh stocké a été divisé par 7 en 12 ans, ce qui en fait un investissement hautement rentable pour capter l’énergie pas cher et la restituer aux périodes de pointe.
Il y a bien sûr des dépenses maladroites, en écologie comme ailleurs. Une étude statistique de l’Institut de Postdam et de l’Université d’Oxford publiée fin août 2024 montre l’efficacité très limitée des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et met en évidence le besoin d’approches multisectorielles, toujours plus difficiles à mettre en œuvre. Il y a une évaluation à faire dans les politiques d’environnement comme dans les autres. Mais d’une manière générale, il faut le rappeler, l’investissement écologique est rentable financièrement. A condition toutefois de bien faire les comptes, et d’intégrer tous les effets, positifs et négatifs, des politiques menées. Toute hésitation dans ces investissements sera payée cash. Encore une fois, ce n’est pas l’environnement qui coute cher, mais le non-respect de l’environnement.
Edito du 4 juin 2025
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