Coût
La perspective de la mise en application des nouvelles réglementations thermiques sur les bâtiments relance la polémique sur le coût du développement durable. Tant mieux, cela donne l’occasion de revenir sur une idée reçue.
Pour les accusateurs, qui se proclament souvent gardiens des intérêts économiques face aux dépenses somptuaires, le développement durable coûte cher, c’est un luxe que l’on ne peut plus se permettre en période de crise, c’est un frein à la croissance.
Combien coûte la réglementation thermique tout juste publiée, quel temps de retour sur investissement, etc. Combien de milliards coûte le Grenelle de l’environnement, pour élargir le débat.
La question est bien sûr mal formulée, et elle est incomplète. Mal formulée parce que le niveau de performances que peuvent atteindre les professions n’est pas figé, il évolue avec le marché, celui-ci étant largement conditionné par la réglementation. Les témoignages sont nombreux de promoteurs ou d’entreprises qui assurent maintenir des prix sans « surcoût » ou presque, à l’issue d’une courte période d’apprentissage. Il faudrait mettre au bilan, côté recettes, l’amélioration des techniques et des savoir faire, dont les acteurs bénéficieront dans la durée. Bien sûr il y a un effort à faire, mais toutes les professions sont tenues de se moderniser en permanence. A cet égard, la concurrence internationale est un puisant moteur pour beaucoup de secteurs d’activité, l’environnement y jouant un rôle de plus en plus grand. Le bâtiment est ainsi confronté à un défi, nécessaire pour le faire évoluer : sans pression, il n’y a guère de progrès. Rappelons-le, le développement durable est une dynamique, qui se construit tous les jours grâce aux apports des acteurs de la société. Encore faut-il mettre lesdits acteurs en situation, et c’est le rôle de la réglementation.
La question du coût de développement durable est aussi incomplète. Elle s’inscrit dans une vision tronquée de l’économie, comme le PIB qui ne compte que les niveaux d’activité, et oublie les destructions de valeurs, humaines, sociales, écologiques ou économiques. Il faudrait aussi se poser la question du cout du développement non durable, du fil de l’eau, de l’absence de réactivité aux menaces qui se profilent. Si l’on se limite au réchauffement climatique, l’économiste britannique Nicholas Stern, rejoint par plusieurs experts de l’ONU, présentent une facture très lourde : entre 5 et 20% du PIB mondial.
L’annonce de ces chiffres rencontre souvent un certain scepticisme. L’année 2010 nous apportent de tristes éclairages à ce sujet. Le réchauffement climatique n’est pas directement responsable des catastrophes naturelles que nous observons depuis quelques mois, inondations dévastatrices en Chine et au Pakistan, gigantesques incendies en Russie notamment. Mais nous savons que l’effet de serre accentuera la fréquence et la violence de ces évènements. Le prix à payer, humain mais aussi financier, ne cessera de s’alourdir. Il faudra aussi renforcer les équipements, et entre autres la solidité des constructions en tous genres.
Attention, les instruments classiques de comptabilité nationale traduiront mal ces coûts, dans la mesure où les réponses apportées contribuent à l’activité. Les marées noires et les accidents de la route font grimper le PIB. Ce défaut est bien connu, mais fait toujours des ravages, faute de disposer d’autres indicateurs.
Catastrophes naturelles et adaptation à ces situations extrêmes offrent un premier panel de coûts considérables auxquels la non prise en compte du développement durable conduit. Il faut y ajouter le coût de la montée des océans, privant de leur terre ou fragilisant quelques dizaines de millions d’habitants de deltas et d’iles de faible altitude. La réinstallation et l’insertion sociale des « réfugiés climatiques » pèseront lourd dans la balance. On peut y ajouter le coût de la prise de risques inconsidérés. Pour faire durer les réserves de carburant fossiles, si faciles d’usage, nos sociétés semblent prêtes à bien des arrangements avec le diable. L’énergie chère permet d’aller chercher du pétrole et du gaz dans des conditions extrêmes. En résultent le saccage de régions entières pour l’exploitation de sables bitumineux, et les marées noires liées aux accidents comme celui de deep water dans le golfe du Mexique. Quand on connait les projets des sociétés pétrolières – notamment BP - dans les océans arctiques et antarctiques, on peut craindre des coûts écologiques considérables, c'est-à-dire, transposés en économie courante, une baisse du capital de ressources disponibles pour l’humanité.
L’inaction coûte donc très cher, au minimum 5% du PIB mondial, alors que la lutte contre l’effet de serre est évaluée à 1% du PIB mondial. Le problème est que les coûts ne sont pas supportés par les mêmes personnes, et que les 5% bénéficient d’un avantage décisif : il n’y a pas de décision à prendre, contrairement au choix de l’action, bien moins cher mais qui exige une décision. Facteur aggravant, cette décision doit être collective, prise en commun entre des collectivités aux cultures, aux histoires, aux responsabilités, aux niveaux de consommation extrêmement différentes. L’évidence au niveau macroéconomique, que la lutte contre le réchauffement climatique est rentable, ne se traduit pas au niveau des acteurs, publics comme les états, ou privés comme les entreprises.
Il faut donc des accords internationaux et des réglementations pour assurer la cohérence entre macro et micro économie, ce qui introduira un caractère artificiel souvent mal perçu des acteurs s’il dure trop longtemps.
L’expérience des professionnels du bâtiment qui se sont lancés dans des opérations ambitieuse rejoint sur ce plan une observation de Nicholas Stern. Les 1% à investir peuvent trouver leur rentabilité propre, au-delà de la lutte contre l’effet de serre. Il s’agit pour l’essentiel de R&D, d’innovations techniques et organisationnelles, qui ont leur retombées propres dont bénéficient les acteurs qui se sont engagés. Les interventions publiques, règlements, taxes et incitations diverses, décidées au nom de la macro économie, trouvent une justification et une efficacité pour les acteurs, au niveau micro économique.
Il reste à bien doser les efforts, à coordonner des acteurs qui n’évoluent pas tous au même rythme, à choisir des priorités et les domaines qui vont jouer le rôle de locomotives. C’était l’objectif du Grenelle de l’environnement, souhaitons une mise en œuvre aussi ambitieuse que les engagements retenus en accord avec tous les acteurs.
Chronique mise en ligne le 17 août 2010
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