Les faux entrepreneurs
Le développement durable a besoin d’entrepreneurs. Des personnalités ouvertes, curieuses, qui aient envie d’explorer des futurs inédits, et surtout de créer ces futurs, au lieu de les laisser venir dans la continuité du passé. Les entrepreneurs anticipent, explorent des lendemains possibles pour les rendre heureux et y prendre toute leur place. Bien sûr, ils tirent leurs revenus de l’exploitation du monde d’hier et de la formation qu’ils y ont reçue il y a bien longtemps, mais ils n’en sont pas prisonniers, ils savent que le monde de demain sera différent, et que les vérités d’hier peuvent devenir des erreurs demain. Eux-mêmes évoluent dans le temps et selon les sujets, le risque de devenir des rentiers les guette. Cela arrive le jour où ils privilégient le maintien voire la prolongation des positions acquises hier.
Les pétroliers, qui ont été de vrais entrepreneurs à l’aube du XXe siècle, en offrent une bonne illustration. Informés depuis très longtemps des problèmes posés par l’effet de serre, et par suite de la fin programmée de leur activité telle qu’ils l’exercent depuis des dizaines d’années, ils continuent d’investir dans les techniques d’hier. Ils s’efforcent de susciter le doute sur le réchauffement climatique et font du lobbying auprès des pouvoirs publics pour freiner l’évolution de la règlementation. Il leur faut faire durer leur activité le plus longtemps possible, et protéger ainsi leur position dominante dans l’économie mondiale. Au lieu de créer de la valeur durable, ils engrangent des bénéfices qui nous indignent. Mais plus que du volume desdits profits, c’est leur utilisation qui devrait nous révolter. Ils investissent un peu sur l’avenir, les énergies nouvelles, mais ils le font quatre fois plus sur la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements, pour faire durer une forme de rente. Ces efforts pour faire durer le passé est la marque des rentiers. Ce sont de faux entrepreneurs.
Ils ne sont pas les seuls. La voiture électrique. Les premières étaient petites, mais les temps ont bien changé. Ce sont les gros modèles qui envahissent aujourd’hui le marché des particuliers. Des voitures comme celles d’avant, les thermiques, qui tentent de faire jeu égal sur leur point faible : leur autonomie. Des grosses voitures pour faire des centaines de kilomètres sans s’arrêter. Ne rien changer d’autre que la source d’énergie, alors que l’enjeu est l’évolution des pratiques de mobilité. Comment profiter, comment tirer parti, de la mutation énergétique pour engager une adaptation de la voiture dans un nouveau système de mobilité. Nouveaux besoins, en ville et à la campagne, nouvelles contraintes et nouvelles opportunités, climat, biodiversité, nouvelles technologies de l’information, et toujours le même modèle ! Comment les entrepreneurs de l’automobile ont-ils fait pour devenir des rentiers qui ne font que moderniser un système qui attend d’être profondément refondu ? Le champ des nouvelles mobilités est pourtant largement ouvert, et n’attend que des innovateurs ingénieux.
Faux entrepreneur ici, et vrai entrepreneur ailleurs. Le cas d’Elon Musk est intéressant à cet égard. Il exploite le vieux système pour les voitures. Il tire le maximum de profits du changement de source d’énergie, mais toujours avec le même usage de la voiture. Il manque l’essentiel. Mais il introduit la voiture dans le système de distribution d’électricité, en faisant des batteries des réserves d’énergies tous usages, pour mieux gérer le réseau, réduire les pics de consommation et profiter des tarifs les plus avantageux. Une véritable innovation à l’échelle industrielle. Et puis il continue à penser comme avant, en rejetant de fait l’idée de la finitude du monde.
Autres catégories de vrais entrepreneurs devenant rentiers, les agriculteurs. Ils seront furieux de se voir traités de rentiers, mais il faut reconnaitre qu’ils cherchent plus à prolonger l’ancien système, à base de mécanisation et de chimie, qu’à se lancer dans une nouvelle voie, à base de solutions « fondées sur la nature ». Le cas de l’eau est significatif. Le risque de pénurie d’eau est connu depuis des années, qui aurait dû pousser le choix de cultures économes en eau, et de techniques culturales adaptées, et bien la tendance dominante a été de chercher à trouver de nouvelles ressources en eau, et ainsi d’artificialiser encore plus de cycle de l’eau.
Le reflexe de continuer comme avant est largement partagé. Rappelez-vous l’ouverture de l’Europe aux textiles chinois. Annoncé 10 avant l’échéance, pour laisser le temps de s’adapter ou de se reconvertir. C’est à 10 ans moins 5 que les industriels concernés se sont réveillés, en essayant de gagner un peu de temps. Encore un instant, Monsieur le bourreau, semble être le mot d’ordre de ces entrepreneurs devenus rentiers, incapables de se renouveler et de sortir de leur zone de confort.
Les échéances liées aux grands enjeux planétaires sont plus implacables que celles des négociations commerciales. La planète comme interlocutrice est bien plus intransigeante que l’organisation mondiale du commerce, et les retards sont lourdement pénalisés. Les faux entrepreneurs s’accrochent au passé, au temps où nous considérions le monde comme infini. Ils sont encore nombreux, puissants, et beaucoup connaissent de surcroît des réelles difficultés. La solution ne consiste pas à obtenir des aides pour durer comme avant, mais des aides pour construire de nouveaux lendemains, qui chanteront, évidemment !
Edito du 8 mars 2023
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