Guerre et développement durable
La crise climatique s’accélère, tout comme la chute de la biodiversité, sur terre et en mer. La pauvreté, la malnutrition, restent à des niveaux alarmants, et il serait possible de multiplier les alertes tant sociales qu’environnementales. Les objectifs du développement durable, inscrits au programme des nations Unies en 2015, semblent hors de portée, tout comme les accords de Paris sur le climat conclus la même année. La volonté qui serait nécessaire pour renverser cette tendance fait cruellement défaut, et sans doute aussi l’argent. Celui-ci semble au contraire abondant quand il s’agit d’armements, les budgets de défense explosent un peu partout. Le niveau de 4% de PIB est de plus en plus évoqué. Rappelons que, dans son célèbre rapport sur l’économie du changement climatique, Nicholas Stern avait situé le coût du dérèglement dans une fourchette de 5 à 20% du PIB mondial, alors que le phénomène pouvait être combattu efficacement avec 1% du même PIB mondial. C’était en 2006. La guerre va-t-elle absorber l’argent du développement durable ? En tous cas, elle perturbe fortement les quelques progrès que nous attendions sur plusieurs points, notamment les pratiques agricoles et l’énergie.
La crise des hydrocarbures provoquée par la rupture des approvisionnements en Russie aurait pu nous inciter à réduire notre consommation, et à favoriser des modes de vie économes en énergie. Nous avons juste vu une incitation à réduire notre consommation par peur de la pénurie, sans référence aux enjeux climatiques. Le mode de vie des Français n’est pas plus négociable que celui des américains de George Bush, semble-t-il. Les subventions aux énergies fossiles ont repris de plus belle. Prenons l’exemple des « gros rouleurs ». Une politique d’avenir aurait profité de la crise pour aider les gros rouleurs en question à moins rouler si possible (télétravail, dont le champ apparait plus ouvert que prévu, co-voiturage, meilleure organisation des déplacements, etc.), et à réduire leur consommation grâce à l’écoconduite et au bon entretien de leur voiture. Eh bien, il a été préféré une prime pour couvrir le surcoût du carburant. Cette subvention aux fossiles n’aura qu’un temps, que nous espérons court. Il y a bien pire. Au lieu de s’adapter à la pénurie, nous avons cherché des ressources alternatives, notamment le gaz naturel liquéfié, largement issu de gaz de schiste dont les conditions d’extraction sont lourdes de conséquences sur l’effet de serre. De nouveaux réseaux commerciaux se mettent en place, pas les plus vertueux, et ils pourraient être durables, pas au sens que nous aurions souhaité. Car il a fallu construire de nouveaux équipements, des terminaux pour accueillir ce gaz liquéfié, et donc des investissements lourds qu’il faudra bien amortir. Déjà des grandes sociétés pétrolières annoncent qu’elles retardent leur calendrier de sortie des énergies fossiles. Ce sont des changements structurels qui sont ainsi engagés, mais, là encore, pas dans le bon sens.
Le tournant de « produire plus » à « produire mieux » a bien du mal à s’engager en agriculture. Le modèle français, malgré les déclarations de notre président au salon de l’agriculture, n’est pas durable. 20% des émissions de gaz à effet de serre, atteintes lourdes à la biodiversité, besoins en eau douce non maîtrisés, forte dépendance à l’importation pour certaines productions, et part croissante des grandes exploitations, malgré le discours promotionnel qui met en avant les petits paysans, bien sympathiques. L’Ukraine est un des premiers producteurs de blé et de bien d’autres choses, et la guerre a provoqué des pénuries ressenties dans beaucoup de pays. Voilà un magnifique prétexte de faire l’apologie du produire plus, de réduire les exigences de qualité et notamment les restrictions sur l’usage de produits phytosanitaires. Le concept de souveraineté alimentaire a été récupéré par les grandes fermes, qui bénéficient toujours du maximum de subventions européennes. La politique agricole commune, bien timide côté environnement dans sa version française, avait été fortement critiquée par de nombreux experts, convaincus à la fois de la nécessité de changer de modèle agricole, et de la possibilité de le faire dans de bonnes conditions. Le « modèle français », toujours masqué derrière des « petits paysans », tend à renforcer l’intensification plutôt que d’entraîner la profession dans le changement. Reprise des pratiques contraires aux objectifs en matière de climat et de biodiversité. La guerre en Ukraine se révèle une aubaine pour tous ceux qui veulent que rien ne change, alors qu’elle aurait pu constituer une occasion de changer de modèle.
Au-delà des drames insupportables que la guerre provoque, elle pourrait constituer un frein aux changements exigés au titre du développement durable. Elle n’en est pas à l’origine, mais tombe à pic pour justifier des retards, voire des retournements, et le détournement des moyens publics disponibles. La folle ambition d’un dirigeant autoritaire peut ainsi compromettre une perspective de progrès de toute l’humanité. Un phénomène inquiétant, auquel s'ajoute l'incapacité des dirigeants « du monde libre », à en profiter pour accélérer des changements nécessaires dans bien des domaines, comme l'énergie et l'agriculture.
Edito du 1er mars 2023
- Vues : 829

Ajouter un Commentaire