Compétence
Chacun de nous détient des compétences, mais beaucoup d'entre elles sont négligées, voire ignorées. Le développement durable nous conduit à les mobiliser.
Abandonnons la compétence définie comme le droit d’un tribunal à juger d’une affaire, ou le domaine réservé d’un ministre, pour se concentrer sur celle que l’on définirait comme la capacité à faire face à une exigence professionnelle, ou à une situation nouvelle.
Un concept est né de cette situation, celui du bilan de compétences. Il n’est pas tout jeune, en réalité, ou bien il a des parents, puisqu’on en trouve les prémisses en 1945, en Amérique, quand l’US Army a du reconvertir une grande quantité de militaires. On le trouve en France dans les années 1960, pour la reconversion des sidérurgistes, et le terme lui-même apparaît dans des circulaires en 1986 puis dans des accords interprofessionnels de 1991 (1).
Ce bref historique nous conduit au cœur du développement durable. Le bilan de compétence est la traduction opérationnelle d’une hypothèse : chacun a un potentiel, il faut l’identifier et le décrire, pour le valoriser. Ce potentiel est bien sûr connu pour une part, et même affiché, mais une bonne partie reste cachée, et n’est mobilisée que discrètement pour conforter celle dont on se flatte. Et nous avons tous, en plus, des compétences que nous ignorons nous-mêmes, et qui restent en friche si elles ne sont pas sollicitées. Le bilan de compétence doit faire ressortir l’ensemble de ces compétences, même les cachées ou les inconnues, celles qui n’entrent pas dans les grilles habituelles d’analyse. Nous sommes à l’opposé d’une conception bien répandue, celle du tamis, de la sélection. Dans ce Système, les besoins normatifs de l’économie permettent d’élaborer une grille, un crible, et tous ceux qui ne passent pas entre les mailles sont exclus. Tant pis pour eux, mais aussi tant pis pour la collectivité, qui se voit ainsi privée de compétences multiples, sans doute pas celles que l’on a cartographiées pour élaborer les grilles de sélection, mais des compétences multiples dont la créativité est négligée faute de l’avoir imaginée au départ. Quel gâchis ! Et un gâchis qui s’accentue au fur et à mesure que les exigences s’affinent, que les mailles se resserrent. C’est une part croissante du Capital humain qui est ainsi abandonnée.
Avec le bilan de compétence, le regard est inversé. Le potentiel humain, dans toutes ses dimensions, est le point de départ, au lieu de besoins prédéfinis et par suite enfermés dans un cadre rigide. Le développement durable se construit chaque jour, nous le découvrons progressivement. Il ne ressemble pas au monde du Passé, et on ne pourra le faire qu’en ouvrant au maximum le champ des possibles. Au lieu de partir d’une description a priori des besoins, qui sera forcément fausse, partons du souci de ne fermer aucune porte, de n’abandonner aucun savoir faire. Comme les ressources sont limitées, il va falloir les exploiter le mieux possible, et demander à chacun de réaliser son potentiel, ce qui leur permettra aussi de se réaliser eux-mêmes. L’accueil dans des conditions de dignité de 9 Milliards d’êtres humains d’ici 2050 exige une valorisation optimale de toutes nos ressources, et notamment les ressources humaines.
Le parallèle peut être fait aisément avec l’Agriculture et le sort réservé aux terres agricoles. Les techniques modernes d’exploitation ont permis des Progrès de Productivité spectaculaires, et ont permis d’abandonner des terres les plus ingrates. Une formidable concentration s’en est suivi, aussi bien des pays producteurs qu’au sein de chacun de ces pays, des régions les plus adaptées aux techniques. D’immenses territoires ont été abandonnés, se sont dégradés, ont perdu leur population d’agriculteurs avec leurs compétences bien particulières. La crise alimentaire dont on parle aujourd’hui est la conséquence de cette concentration dictée plus par le souci de diffuser des matériels et des produits que par celui de valoriser au mieux chaque type de sol, à partir d’un bilan de ses compétences. Mis au point pour les hommes, le bilan de compétence pourrait être avantageusement transposé aux territoires.
Reprenons dans l’ouvrage de Michel Joras les ingrédients qui font la compétence :
- les savoirs ou connaissances spécifiques et transverses ;
- les savoirs mis en pratique, savoir-faire, les aptitudes ;
- l'Intelligence personnelle et professionnelle, les capacités ;
- les attitudes comportementales : les savoir-être avec autrui, les savoir-être éthiques, jadis dénommés vertus ;
- l’envie, la volonté de mettre en œuvre ses compétences et de les développer lorsque l’employeur en donne les moyens ;
- au moment où la globalisation de l’économie s’impose, il semble indispensable face au métissage des cultures d’ajouter des critères supplémentaires : la compréhension de l’autre, des savoir-être culturels…
Des composants décrits pour des personnes, à décliner pour nos villes, nos banlieues, nos villages. On retrouve le génie des lieux.
(1) Je tire ma science sur le bilan de compétence du Que sais-je ? du même titre, 4eme édition (PUF, 2007), de Michel Joras, que je remercie vivement de ses conseils et de ses critiques, parfois embarrassantes mais toujours opportunes.
Chronique publiée le 19 juin 2008, revue le 28 octobre 2010
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