
Malaise
Est-ce la décivilisation ? Un malaise semble s'étendre sur notre pays. Les symptômes sont multiples et touchent de nombreux groupes sociaux.
Les arrêts de travail constituent un indicateur bien connu et documenté d'un malaise au travail. Eh bien, le seul discours que nous entendons est « Haro sur ces profiteurs du système social, renforçons les contrôles ». Aucun mea culpa, ni la moindre interrogation, à défaut d’introspection, dans la sphère publique tout du moins, sur les causes de ces arrêts de travail, ou encore sur l’augmentation de consommation d’alcool et de drogue au travail.
Dans le même registre, Les Français constituent une exception en Europe sur l'âge du départ à la retraite. Pourquoi ? Seraient-ils plus paresseux que les autres européens, ou plus inconscient vis-à-vis du vieillissement de la population ? Ne serait-ce pas aussi les conditions de vie au travail, le type d'organisation et de management des entreprises, qui leur ferait voir dans la retraite une sorte de délivrance ? L’analyse des avancées sur la pénibilité du travail nous montre que le débat n’a progressé qu’à l'occasion de réformes des retraites. Il n'est question de pénibilité que pour ouvrir des voies d'exception à l'allongement de la durée du travail. Une approche partielle, étroite et plutôt défensive de la qualité de vie au travail, qui devrait être l'objectif de tous les partenaires sociaux et des pouvoirs publics, tout simplement parce que tout le monde y gagne. Les travailleurs, bien sûr, et leur encadrement, mais aussi les entreprises qui bénéficieraient une hausse de productivité et d'un personnel bien plus motivé.
Malaise aussi chez les enfants. Pas tous heureusement mais de plus en plus si l'on en croit les commentaires des médias sur des faits divers qui seraient des faits de société. L'arme blanche comme indicateur de malaise, nous n'y aurions pas pensé, mais la jeunesse nous surprendra toujours. Les causes évoquées sont multiples, et relèvent tant de la vie privée que de l’évolution de la société. Ce sont les réseaux sociaux, les smartphones, les jeux vidéo, l’isolement, l’absence d’encadrement social ou sanitaire dans les établissements, la perte de contrôle des parents sur leur progéniture, malgré justement tous les dispositifs de contrôle que les nouvelles technologies offrent. Il y a toujours eu un âge de prise d’indépendance des enfants, avec les risques qui vont avec, mais le monde a changé, et le phénomène prend des allures qui inquiètent, à juste titre. Ce ne sont les enfants les plus défavorisés qui font l’objet de ces « faits de société », mais aussi ceux des familles « ordinaires », sans histoires. Les réponses évoquées sont en grande partie plus de contrôle sur les enfants, plus de pression sur les parents. Peu de propositions sur les causes du malaise, sur la manière de prendre le problème à la racine.
Nous pourrions aussi parler de la drogue, dont l’usage se répand dans de nombreuses couches de la société. Il y en a toujours eu, et le phénomène prend maintenant des dimensions politiques et économiques, mais il n’est pas interdit de s’interroger sur l’éventualité de causes sociétales à son extension. La drogue comme réaction à l’absence de perspective, à une forme de désespoir.
Les mutations dont notre société est l’objet sont à l’origine de ce malaise que chacun perçoit, même s’il ne touche qu’une partie de la population. Le décalage entre les aspirations et la réalité, les frustrations qui en résultent avec les sentiments de révolte ou de résignation qui les accompagnent, se ressentent profondément, et perdureront tant que les références de l’ancien monde domineront nos envies et nos modes de penser. La fin du « toujours plus » dans les sociétés dites avancées crée une angoisse qui devient insupportable pour une grande partie de la population, qui se rabat sur les valeurs sures, comme la religion souvent sous des formes radicales, à la mesure de leur désarroi.
Les solutions apportées jusqu’à présent, plus de contrôle, plus de sanctions, peuvent répondre à un besoin immédiat, mais elles relèvent d’une fuite en avant tant qu’aucune piste de s’ouvre sur les causes du malaise, et sur l’avènement d’une nouvelle civilisation, en réponse à la décivilisation que nous observons. Une recivilisation qui ne s’improvise pas, qui ne tombe pas du ciel, mais que la société doit secréter à partir d’un imaginaire renouvelé. Encore faut-il pour cela la mettre en situation, lui en donner l’envie, encourager les initiatives qui tentent de donner un sens au mot « progrès » dans ce monde qui change.
Edito du 18 juin 2025
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