Commerce
Dès 1964, la conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) le dit clairement : Le commerce, pas la charité. Le mouvement de que l’on appelle aujourd’hui le commerce équitable est né dans des milieux chrétiens militants, aux Etats Unis de l’après guerre. C’est une approche morale, qui évolue ensuite au fil des années pour s’affirmer équitable. Ce ne sont pas des bonnes œuvres, mais le respect de la déclaration universelle des droits de l’Homme (article 23)
: Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante, lui assurant ainsi qu’à sa famille, une existence conforme à la dignité humaine. Cette belle affirmation ne va pas de soi. Les règles traditionnelles des échanges, à toutes les échelles, font la part belle aux acteurs dominants. Allez en parler aux jeunes agriculteurs français, en négociation permanente avec les grands groupes alimentaires et les grandes surfaces. Sans parler des subventions aux agriculteurs du Nord, qui leur permettent d’envahir le Sud et de marginaliser l’agriculture locale. Le résultat est le creusement du fossé qui sépare les riches et les pauvres : Les 2% les plus riches de la population adulte du monde possèdent aujourd’hui plus de la moitié de la richesse des ménages du monde alors que les 50% les plus pauvres n’en possèdent qu’à peine 1%.
De grands économistes, tel le prix Nobel Joseph Stiglitz, mettent la communauté internationale en garde contre cette situation qui semble s’accentuer, et produit sporadiquement des émeutes de la faim. On peut se demander si le maintien et l’exploitation de telles inégalités n’est pas en soi source de gigantesques problèmes. Des tensions sociales qui provoquent la création de murs de toutes sortes, pour protéger les riches du déferlement des pauvres, le gâchis des nombreuses ressources –naturelles et humaines - laissées en friches pour cause de non rentabilité, la dégradation de l’environnement qui résulte de la concentration de la production. Tout ça n’est pas très durable, toute affaire de morale mise à part.
Les promoteurs du commerce équitable ne font pas non plus de morale. Ils feraient plutôt de la politique, au sens plein du terme. Leur tête d’affiche, Max Havelaar, est un aventurier, genre Robin des Bois. Il se bat au XIXe siècle contre un système oppressant, dont les producteurs indonésiens de café étaient les victimes. Un héros de roman, un héros populaire qui marche bien, à voir la progression du chiffre d’affaire des produits équitables, +30% en France en 2007, + 70% en Grande Bretagne. Ces chiffres ne peuvent être obtenus que parce que l’on part de bien bas, 3,2 euros par habitant et par an en France, mais 13 en grande Bretagne et 20 en Suisse.
Côté producteurs, ça finit par compter. Le chiffre d’affaire du commerce équitable reste très modeste, mais dans certaines régions ou dans certains pays, il a permis des avancées certaines, au-delà du cercle des producteurs eux-mêmes. Des populations sont stabilisées, de nouveaux cadres sont formés. L’influence prise par une fédération locale de commerce équitable dans les Yungas de Bolivie, la Fecafeb, 25% du marché, a conduit de nombreux intermédiaires à s’aligner pour préserver leur source d’approvisionnement. Le commerce équitable fait tâche d’huile.
Ne crions pas victoire, il reste du chemin à parcourir, mais on voit se dessiner un mouvement qui pèse dans le commerce mondial, et pourrait influencer ses règles de fonctionnement.
Le commerce équitable se construit en réaction à un marché brutal et à courte vue, mais il s’inscrit dans ce marché, et cherche à y multiplier ses points de vente. Tout comme le micro crédit lancé en 1976 au Bengladesh par Muhammad Yunus avec la Grameen bank, la banque du village. Le micro crédit s’insère dans le système bancaire classique, en permettant à ceux qui en sont exclus d’y parvenir progressivement, à leur rythme et avec leurs moyens propres. Commerce équitable et micro crédit constituent par leur seule existence des contestations du marché et de la banque traditionnels, mais font avec, pour aller plus vite et plus loin. Un développement pragmatique, et durable à la fois.
Pour en savoir plus : Jean-Pierre DOUSSIN, Le commerce équitable, collection Que sais-je ? PUF, mai 2009, ouvrage d’où provient largement la science étalée dans cette chronique.
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