
Une descente dans les détails de la vie
« Nous n’habitons pas la même planète que nos aïeux, la leur était immense, la nôtre est petite », nous disait Bertrand de Jouvenel, il y a de cela un peu plus d’un demi-siècle. Il y a bien d’autres différences, qui sont apparues ces dernières années, notamment le réchauffement climatique qui change tout. Une autre planète, donc, mais que nous voyons encore avec les yeux d’hier, et que nous avons le plus grand mal à comprendre et encore plus à faire comprendre. Nous avons été formatés dès l’enfance par des discours sur la Terre telle qu’elle était avant, et nous peinons à nous en détacher, à raisonner dans le mode nouveau, à abandonner ce que Bruno Latour appelle « les fossiles de la République d’avant ».
Comment parler d’écologie dans ce contexte ? « Vous ne pouvez pas faire de la politique écologique sans re-définir le territoire de la Terre nouvelle sur lequel vous vous êtes déplacés par la mutation écologique ». Le risque est grand, en effet, de tomber dans « un petit jeu stéréotypé d’attitudes » qui empêche justement de s’inscrire dans le nouveau territoire. Il faut donc dépolitiser pour repolitiser sur la base d’une description actualisée du territoire. « Déplacer les clichés de la période précédente ». Et pour y parvenir, opérer « une descente dans les détails de la vie ».
Bruno Latour propose une description à partir des « attachements ». De quelles entités dépendons-nous pour notre subsistance, quelles sont les menaces qui pèsent sur ces entités, et que faisons-nous pour les protéger. Cet exercice permet, si ce n’est d’atterrir dans le monde d’aujourd’hui, au moins de s’y repérer, de découvrir une sorte d’empuissancement sur son sort et de redevenir citoyen. Le décalage entre les préoccupations des habitants et le discours politique en a éloigné beaucoup, qui ne comprennent plus ce que la collectivité et l’Etat peuvent leur apporter. Le niveau de l’abstention en témoigne : « Ce n'est pas parce que les abstentionnistes ne sont pas intéressés par la question publique, c'est parce qu'ils ne voient pas le lien entre leurs questions et leurs angoisses personnelles, et le chemin qu'il faudrait faire pour en faire une question publique ».
La préparation des élections municipales offre une bonne occasion de mettre ces recommandations en pratique. Un an ne suffira guère à cette « descente dans les détails de la vie », il ne faut pas tarder à s’y mettre. Inscrire le débat politique dans les territoires revisités, au lieu d’inscrire les territoires dans un débat politique prêt à l’emploi et hérité du monde d’hier.
Bruno Latour remarque cependant une difficulté particulière concernant l’écologie. « Cela m’a beaucoup frappé, la difficulté de certains des participants à transformer une angoisse vis-à-vis de la disparition d’animaux, la disparition de forêts, de l'eau etc., en politique. […] S'apercevoir que cette cause doit circuler et qu’elle doit être partagée par des gens qui ont des idées différentes est difficile ». C’est un des enseignements de la recherche-action menée par Bruno Latour et son équipe de 2015 à 2021, à quel point les participants ont été surpris de l’extraordinaire éventail des perceptions de leur territoire, bien au-delà et bien différents des clivages habituels. Partons des « attachements » d’aujourd’hui plutôt que des débats fossiles, buttes-témoins du monde d’hier.
Edito 12 février 2025
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