
Le bon produit
Curieusement, en matière de concurrence, il est plus souvent question de coût que de pertinence du produit. Il faut alors serrer sur les facteurs de production, et notamment sur les salaires, sur les contraintes réglementaires (notamment environnementales) et parfois aussi sur les investissements d'avenir, peu productif dans l'immédiat. Moins de recherche, moins de formation, l'avenir attendra. Et pourtant si vous sortez sur le marché le « bon produit », qui répond aux attentes, vous pouvez faire un tabac, tout en assurant de bons salaires, une R&D prospère, une politique pro-active d'environnement et en consolidant les bases de votre développement. La nature du produit est la clé du succès, bien plus que toutes les restrictions imposées aux acteurs dans l'entreprise ou autour de l'entreprise. Jacques Chirac le disait bien, « la fiche de paie ne pas l'ennemie de l’emploi ». Rien de pire, en revanche, que de courir derrière des concurrents mieux placés et bénéficiant d'une longueur d'avance.
Je me souviens d’une discussion que nous avions aux Amis de la Terre dans les années 1970-1980. Un de ses principaux animateurs, Pierre Samuel, par ailleurs mathématicien membre du groupe Bourbaki, nous disait qu'une entreprise qui sait fabriquer des automobiles doit savoir fabriquer des tas d'autres choses. Le niveau technologique et l'organisation industrielle nécessaires pour créer des voitures, objet éminemment complexe, peuvent être mises à profit pour créer d'autres produits. Au Japon, par exemple, Toyota, qui fabriquait au départ des robots pour son usage interne, s’est doté d’un institut de robotique pour entrer sur le marché des robots d’autres natures. Une diversification judicieuse, à partir des compétences acquises dans l’entreprise.
En matière de personnel, le bilan de compétences permet de mettre au jour des qualités, des savoir-faire et des savoir-être, souvent enfouis et méconnus des intéressés eux-mêmes, et à partir desquels un nouvel avenir peut être envisagé. Le concept se décline à d'autres échelles, pour une entreprise comme on a pu le voir pour l'exemple de Toyota, mais aussi allez échelle de régions ou de nations.
Les gros désordres que nous observons dans l'économie mondiale peuvent inciter à l'attentisme. Restons prudents, faisons nous oublier, espérons que la tempête sera de courte durée et que tout reprendra comme avant. C'est oublier que le monde a changé et qu'il continue de changer. Il n'y a pas que les réformes intempestives des États-Unis et la guerre en Ukraine, il y a bien d'autres phénomènes qui s'ajoutent, comme bien sûr la dégradation du climat et la chute de la biodiversité, mais aussi le vieillissement de la population, l'intelligence artificielle, les drones, les imprimante 3D, les rééquilibrages géopolitiques, etc. et c'est dans cet ensemble qu'il faut se situer, au-delà des épreuves immédiates qui font la Une de l'actualité.
L'Europe semble être la cible de nombreuses agressions, et cherche des réponses, délicates à imaginer dans un monde marqué par de nombreuses interconnections. Les effets boomerang sont à craindre dans toute opération dite de représailles. L’Europe dispose toutefois de nombreux atouts, dont elle n’a pas totalement conscience. Une position exceptionnelle, entre Mer du Nord et Méditerranée, entre continent et océan, un lieu millénaire de passage, de brassage et d’échanges. Il en résulte un patrimoine à la fois matériel et immatériel, avec des spécificités territoriales et une culture diversifiée, un haut niveau de formation et d’organisation sociale. Ce n’est pas en courant derrière les pays apparemment plus puissants que nous sortirons de cette période de crise, mais en valorisant nos atouts, en inventant les modes de vie de demain pour les proposer au reste du monde, comme les Lumières l’avait fait au XVIIIe siècle.
Bruno Latour propose une méthode pour trouver « où atterrir », à partir des « attachements », ce qui compte vraiment, ce dont nous dépendons. Une approche complémentaire pourrait être ce bilan de compétence collectif, à différentes échelles, pour décider ensemble quels domaines investir prioritairement, quels axes structurants retenir pour nos activités, et quelle organisation sociale conviendrait pour atteindre ces objectifs. C’est à partir de ce que nous savons faire de mieux, et que nous avons envie de faire, que l’Europe sortira grandie des nombreuses crises qui se superposent actuellement. Pour une recivilisation.
Edito du 23 avril 2025
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