
Eloge des normes
Les normes doivent avoir le spleen. Que n’entend-nous pas sur elles et leurs méfaits ! des freins, des lourdeurs, des obligations stupides, surtout quand ça vient de bureaucraties bien éloignées des réalités, à Paris ou à Bruxelles. Haro sur les normes, empêcheuses de produire comme bon nous semble, nous qui sommes sur le terrain, qui nous levons tôt, et qui ne comptons pas le temps qui passe.
Nous entendons beaucoup les agriculteurs, mais ils sont nombreux à les suivre sur ce point. Rendez-nous la liberté de faire comme nous savons le faire, comme nous le faisons depuis toujours.
Pauvre norme, chargée de tous les péchés du monde. La norme qui semble être une obligation, et c’est le cas, en effet, des normes sociales, hors desquelles point de salut. Mais les normes attaquées ne sont pas celles-ci, ce sont les normes techniques, qui décrivent un produit ou un service, de manière à sortir d’une sorte de tour de Babel, où personne de ne se comprend. Si chacun a sa définition perso d’un produit, il est difficile de passer commande, l’acquéreur ne pouvant pas savoir précisément ce que le vendeur lui propose. Sans langage commun, point d’échange, point de comparaison possible, et la porte ouverte à toutes les malversations, aux conflits, aux escroqueries. Les efforts de qualité des uns ne pourraient pas être reconnus ni rémunérés si la description de ladite qualité n’est pas rigoureuse.
La norme permet ensuite de réglementer sur des bases précises, avec des exigences, des limites à ne pas franchir, des spécificités qui font l’intérêt de l’objet réglementé. Elle n’est pas en soi une obligation, mais permet d’établir des règles à appliquer, qui, elles, s’imposent. Et nous sommes bien content des garanties que nous apportent, à nous consommateurs, les normes NF ou CE. Sans parler de l’homogénéisation de certains produits, comme les prises de courant et plus récemment les prises d’alimentation des smartphones. Finie, l’obligation d’acheter à chaque fois, un nouveau cordon avec sa prise, merci la norme qui nous fait faire une économie et qui, en même temps, économise la ressource nécessaire à leur fabrication.
La norme n’est pas innocente pour autant. Aucun langage n’est vraiment neutre, il traduit une culture ou des pratiques dominantes. Cela peut entraîner une discrimination entre les acteurs ou les obliger dans les faits à adopter des modalités différentes de celles qu’ils auraient retenus spontanément. La norme n’est pas figée, elle peut évoluer en fonction des techniques disponibles, d’innovations, ou de contraintes de type sanitaire par exemple. Mais la vie va plus vite que les normes, et le risque existe que la norme ne suive pas assez vite, et qu’elle devienne alors un frein à l’innovation. Pourquoi faire preuve d’inventivité si je suis contraint de rester dans la norme ?
Il faut donc être exigent sur les normes, puisqu’elles fixent les règles du jeu. Elles doivent coller à la réalité, et être capable de suivre les progrès, et même de les encourager. Elles doivent être ouvertes à l’innovation, pour intégrer en continu de nouvelles pratiques lorsqu’elles donnent des résultats équivalents ou supérieurs à ceux fixés au départ.
Les critiques que les normes subissent portent rarement sur ces exigences. C’est qu’elles ne sont pas nées du hasard. Elles expriment des impératifs qui existent en soi, indépendamment des règlements. Les respecter, c’est respecter ces impératifs, qui relèvent souvent d’intérêts généraux, qui s’imposent de toutes façons aux producteurs. Les normes représentent dans ce cas là des qualités sanitaires, sociales, environnementales, pour protéger les travailleurs, les consommateurs ou l’environnement. Et ce sont celles-ci qui sont l’objet du courroux que chacun peut observer à la télévision. L’interdiction de certains produits, par exemple, n’est pas qu’un acte administratif. C’est un acte de protection de ceux qui seraient tentés de les utiliser, et des impacts qui en résulteraient. Les alléger, c’est alléger d’autant ces protections, souhaitées par ailleurs par de larges parties de des consommateurs. Il y a sans doute des normes excessives, qui étouffent au lieu de protéger, et il est bon de tirer régulièrement le bilan de leur mise en œuvre, notamment des modalités pratiques de cette mise en œuvre. Le mouvement engagé de simplification est à ce titre nécessaire, mais qu’il ne soit pas un prétexte à fragiliser un système de santé durement mis à l’épreuve par ailleurs. N’oublions pas que les ¾ des maladies ont à l’origine des facteurs environnementaux.
Edito du 5 mars 2025
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