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Société, Population

Reculons

La lucidité est un art difficile, mais bien utile. A défaut, il arrive que l’on aille à reculons vers des avenirs inéluctables. C'est-à-dire y aller dans les plus mauvaises conditions, en subissant plutôt qu’en maitrisant.

Les phénomènes démographiques se prévoient aisément. Voilà un bon terrain pour illustrer le drame du « à reculons ».

Le débat sur l’avenir des retraites est reparti. Ce sont aujourd’hui les caisses de retraite complémentaires qui sont à l’honneur : Elles seraient en danger. Le chômage en est évidemment la cause, mais c’est sur le ratio nombre d’actif par retraité que la discussion s’enflamme. Notre pyramide des âges laisse apparaître un haut de pyramide bien trop important par rapport à sa base. Nous avons beau mettre en avant notre natalité, et tirer fierté de notre démographie, pauvre science confondue avec l’objet de ses observations, rien n’y fait, la base est trop maigre par rapport au sommet. Et comme il faut bien s’inscrire dans une trajectoire de stabilisation de la population mondiale, toute tentative de faire encore grossir le nombre d’enfants à naître chaque année en France serait à contre-courant. De quel droit, en effet, dirions-nous aux autres pays, ceux du Sud notamment, de faire moins d’enfants, si nous faisions le contraire chez nous ? Il faut donc s’y résoudre, et c’est écrit, c’est prévisible, notre population va continuer à vieillir. La proportion de vieux par rapport aux jeunes en âge de travailler, va continuer à monter.
Comment faire pour sortir de cette impasse ? Deux approches complémentaires, pour ne pas y aller à reculons.

Travailler plus longtemps, nous dit-on, alors que les calculs nous disent que cela ne suffira pas pour équilibrer les comptes dans la durée, il s’en faut. Et jusqu’à quel âge ?

Pendant ce temps-là, ça pousse à nos portes. Beaucoup de jeunes, en provenance des pays eux-mêmes jeunes, se pressent à nos frontières et voudraient bien venir travailler chez nous. Nous n’en voulons qu’un peu, au compte-gouttes et triés sur le volet. Pourtant, le phénomène ne va que s’accroître au cours des prochaines années. La population de nombreux pays du Sud est extraordinairement jeune. Fréquemment, plus de moitié des habitants a moins de 20 ans. Des jeunes trop nombreux chez eux, et dont les plus dynamiques ne cherchent qu’à venir dans les pays du Nord. L’immigration, voilà la solution ! Voilà la manière de rajeunir notre population, sans avoir à supporter au passage le coût, considérable, de la première jeunesse, improductive. La pression sera de plus en plus forte, et tous les murs du monde n’y feront rien.

L’arrivée massive de jeunes étrangers ne peut se faire sans préparation. C’est là, justement, qu’il ne faut pas aller à reculons. L’augmentation globale de la population provoque toujours un surplus d’activité, et s’est toujours révélée bonne pour l’économie. Elle ne s’improvise pas pour autant. Elle impose des ajustements de notre droit, de nos systèmes de formation et de santé, de nos politiques familiales, du logement, etc. Notre société s’est donné un cadre qui ne peut résister à un afflux massif de populations dont les références culturelles et sociales seraient trop différentes des nôtres traditionnelles. Mais ce cadre n’est pas immuable. Il peut évoluer, et il évolue de fait tous les jours avec l’arrivée de nouvelles technologies, et des nouveaux modes de vie qui vont avec. L’important est de ne pas le faire sous la pression, ou avec des a priori idéologiques qui empêchent de faire tout le tour d’une question. Aller crânement vers un avenir original, au lieu d’y aller à reculons, voilà l’enjeu. Allons au-delà des solutions partielles et imparfaites, qui nous font perdre du temps et empêchent toute visibilité sur le futur.

La deuxième approche, rarement évoquée dans le débat sur les retraites, est la productivité du travail. Le temps d’assemblage d’une voiture en France a été divisé par 2 entre 10 ans. Voilà bien du temps de travail libéré, qui peut être récupéré ailleurs, pour d’autres productions ou des loisirs. Les robots prennent le travail des hommes. Bonne nouvelle, si on ne la prend pas « à reculons ». Si elle est intégrée dans les politiques, les mœurs, notre organisation économique et sociale. A défaut, elle nous prend au dépourvu, crée du chômage, au moins pendant une période d’adaptation en attendant que le « temps social » libéré ne soit affecté à d’autres activités. On en vient à freiner l’augmentation de la productivité, et ainsi à mépriser le travail, paradoxalement. N’est-ce pas lui ôter toute sa valeur que d’accepter d’en faire pour rien ? Le fantôme du sapeur Camenber rôde encore.

Demain n’est pas une fatalité, à laquelle il faut bien se résigner, et vers laquelle nous irions « à reculons, comme une écrevisse (1)» la peur au ventre face à avenir incertain et aux catastrophes en tous genres qui nous sont annoncées. Demain est à construire, comme le développement durable. Avec un peu de lucidité, d’imagination et d’audace.

 

1 - Pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Umberto Eco (Grasset, 2006)

 

 

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