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Société, Population

Démographie

La bonne santé démographique de la France est souvent présentée comme un atout. Un consensus en opposition à l’idée, également largement répandue, qu’il faut stabiliser la population mondiale.

Le développement durable nous conduit souvent à remettre en question des consensus largement établis. Il faut, pour innover, pour explorer des voies nouvelles, s'éloigner des chemins bien balisés et s'interroger sur des certitudes qui, en définitive, ne devraient pas en être. Ce qui était vrai il y a 30 ans ne l'est pas forcément encore aujourd'hui.
La question démographique illustre bien cette nécessité. Le discours ambiant nous dit que la croissance démographique est une bonne chose. Ce serait une chance pour l'avenir. Nous sommes en plein dans l'état d'esprit de 1945, tout de suite après la guerre, où il fallait tout reconstruire, avec le souvenir de la période d'entre-deux-guerres qui avait effectivement connu un déclin démographique. C'était aussi une époque où, à part quelques grands esprits comme Paul Valéry, tout le monde vivait sur l'idée que le monde était infini. En France, notamment, on était encore sur le concept d'empire colonial, avec les immensités à « coloniser ». Où en sommes-nous aujourd'hui ?

La croissance démographique présente plusieurs avantages : elle donne de la souplesse, en accélérant le renouvellement de la population, grâce à la poussée des jeunes. Ce renouvellement facilite, en théorie tout du moins, l’adaptation des actifs aux besoins du moment. La croissance démographique permet surtout d'avoir une pyramide des âges bénéficiant d’une  base large. La part des personnes âgées reste modeste, et les dépenses engagées par une génération seront prises en charge par une génération plus nombreuse. La charge par individu est ainsi maîtrisée. La croissance démographique a produit des modèles d'organisation de la société, et nous souhaitons implicitement voir perdurer cette organisation. Pourquoi changer ?

Nous savons par ailleurs que la population mondiale ne peut continuer d'augmenter indéfiniment, et qu'il va bien falloir mettre un terme à sa croissance. Nous ne pouvons aujourd'hui assurer une existence convenable à 7 milliards de terriens. Malgré les progrès de l'agriculture, personne ne peut affirmer avec certitude que l'on pourra en faire vivre 9 milliards en 2050 et peut-être bien plus si les hypothèses de stabilisation  se révélaient inexactes. S'il faut parvenir à une stabilisation de la population mondiale, pourquoi les sociétés dites développées, industrialisées, qui ont été les premières à parvenir à cette stabilité démographique, échapperait-elles cette nécessité de ne plus croitre ? Nous devons nous aussi contribuer à la stabilisation de la population mondiale, et cela dès aujourd'hui. La croissance démographique comme solution à tous nos problèmes, cela ne peut plus fonctionner. Il va falloir que l'on trouve un nouvel équilibre, une nouvelle approche des migrations, de nouvelles formes d'organisation de la société, avec une population stabilisée, c'est-à-dire une population sensiblement plus vieille que celle nous connaissons aujourd'hui. Échapper à cette obligation, c 'est, en définitive, la repousser à plus tard, et repousser avec l'effort incontournable de réorganisation. Un beau cadeau pour les générations futures !  Accepter le vieillissement de la population, et le traduire dans nos vies familiales et professionnelles, dans notre habitat et dans nos villes, dans nos modes de prise de décision, de transmission de nos savoirs et de nos actifs de toutes natures, telle est la bonne manière de répondre aux besoins des générations futures.

Notre  « bonne santé » démographique est souvent présentée comme un avantage par rapport à l'Allemagne ou à différents pays scandinaves. On pourrait dire l'inverse : ces pays sont en train de réaliser leur transition démographique, ils prennent une longueur d'avance.

Le vieillissement d'une société est effectivement un défi à relever, et un défi inéluctable. Relancer la croissance démographique de nos sociétés industrielles relève d'un déni de développement durable. C'est un retour en arrière.

Acceptons qu'il existe une nouvelle transition démographique, après celle que nous avons connue au XIXe siècle. Une transition démographique qui aura des influences sur notre organisation sociale dans tous ses états. On pense beaucoup aux retraites et à l'organisation du travail, il faudrait aussi penser à l'organisation de nos villes, de nos maisons et de nos équipements, de nos modes de production, des types de produit que l'on fabrique. Pour prendre un exemple, les Japonais ont pris conscience de l'importance des robots pour la vie quotidienne des personnes âgées. Cela ne résout pas tous les problèmes, il s'en faut, mais l'industrie automobile qui sait fabriquer des robots, trouve là un champ de Reconversion.

Restons un instant sur la question de l'habitat. Comment permettre aux personnes âgées de participer à la vie de la cité, de développer leur part d'activité, d'accéder aux services auxquels elles peuvent légitimement prétendre ? Les programmes sont d'ores et déjà engagés sur des maisons adaptées au grand âge ; quelques réseaux, « sociaux » ou non, irriguent certains groupes de personnes âgées ;  la question de la mobilité sera également déterminante pour leur bien-être et leur intégration. Laisser les vieux à l'écart de la vie collective serait à la fois un drame humain et une perte économique considérable.

La solitude, danger mis en avant comme grande cause nationale au cours de l'année 2011, est bien sûr un problème personnel. Elle a aussi des conséquences lourdes en termes de santé publique, avec des maladies spécifiques et la dépendance. Un coût social donc, mais aussi un coût économique qui sera vite insupportable. Et comment pourrait-on se passer des apports de 20 à 30 % de la population, apports multiformes, le plus souvent ignorés et négligés dans les statistiques économiques ? Aussi bien dans les villes que dans les campagnes, l’organisation de l'habitat et de la mobilité doit favoriser la participation de tous à la vie sociale et économique. Il est d’ailleurs très encourageant d’observer, dans de nombreux éco quartiers, l’importance accordée à la question du lien social. Tant dans la conception matérielle que dans l’animation quotidienne, la création de lieux ou d’occasions de rencontres est une des marques de la « durabilité » de ces nouveaux quartiers.

Toute politique démographique moderne doit s'intégrer dans cette perspective. À ne pas confondre avec une politique « nataliste », tendant à orienter le choix des ménages. C'est une politique sociale, offrant aux couples la possibilité de constituer leurs familles sans sacrifier leur vie professionnelle. C'est aussi ouvrir un grand chantier sur les relations entre les générations, sur les risques d’enfermement et de solitude, sur la manière d’offrir aux « anciens » des occasions de contribuer à la richesse d’une communauté, avec leurs talents et leur mémoire.

Chronique mise en ligne le 5 mars 2012

 

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