Ainés
Un ministère pour les ainés. Voilà une terminologie qui sent bon les bonnes œuvres et la France profonde. Les plus hautes autorités de l’Etat nous parlent, au même moment, de la vie après 60 ans, dont il convient d’ouvrir le chantier. Tout cela sur fond de débat ré ouvert sur l’avenir de nos retraites.
Réduire le chantier à la question des ainés est la meilleure manière de ne pas trouver de solution. Il ne restera alors que les vieillies recettes, dont on sait qu’elles ne répondent que très partiellement au problème : retarder l’âge légal de départ à la retraite, augmenter le nombre d’années de cotisation, voire jouer sur leur montant et leur répartition. A quoi bon perdre son temps sur les réglages de la machine, devenue obsolète, alors qu’il faut envisager sérieusement de changer de machine ?
Confiner le débat à des paramètres formels, bien loin des réalités puisque l’âge réel de la retraite est au dessous de 60 ans, place la négociation sur un terrain purement comptable, dont l’issue sera inévitablement perçue comme une régression sociale. Voilà comment des progrès, la longévité et la formidable augmentation de l’efficacité du travail humain, se trouvent transformés en recul. Le vieillissement de la population française mérite mieux.
Dépassons les calculs peu avouables sur le coût comparé d’un chômeur et d’un retraité. Sans création d’emplois, l’un et l’autre se trouvent en concurrence, ce qui est plutôt malsain. Evacuons aussi l’idée d’une lutte contre le vieillissement : comme tous les autres peuples à la surface de la planète, il faudra bien stabiliser la population française, et cela entraîne mécaniquement un vieillissement, compte-tenu de la situation sanitaire de notre pays. Il faut donc faut donc s’organiser pour vivre avec une population âgée importante. Les retraites en sont affectées, mais aussi de nombreux équilibres sociétaux. On parle d’adapter le parc de logement, de lutter contre la solitude, de prendre en charge la dépendance. Pour ne prendre qu’un exemple, la perte de la capacité de conduire peut plonger une personne âgée dans un isolement insupportable. La question n’est pas que financière, elle touche à la conception de nos transports, des nos villes et de nos villages, bref à nos modes de vie.
Ces questions n’intéressent pas que les ainés, elles concernent tous les âges, et tous les aspects de notre organisation sociale. La transition démographique que nous connaissons est une affaire de civilisation. Disons-le bien clairement : ce n’est pas une question de ressources, mais de répartition de cette ressource. La productivité du travail en France progresse régulièrement, moins vite depuis qu’il y a un chômage important et persistant, mais plus vite que la proportion de personnes âgées. On peut en outre faire le pari que la crise, avec son cortège de licenciements et de regroupement d’entreprises, ne fera pas de mal à la productivité, et lui donnera plutôt un coup de pouce. Nous ne risquons pas de manquer faute de bras. Le gâteau à se partager continuera à augmenter, une fois la crise passée. Et comme les ainés sont aussi des consommateurs, et que l’on a besoin d’eux à ce titre pour faire tourner l’économie, il faudra bien leur distribuer du pouvoir d’achat.
La question du vieillissement est ailleurs. C’est le dynamisme de la population qui est en cause, sa capacité à s’adapter aux changements qui s’imposeront, et même à les anticiper. Une population âgée se montre plus conservatrice, alors qu’il va falloir faire preuve de réactivité et d’imagination. Le renouvellement des actifs et notamment des cadres sera plus lent, et les modifications structurelles plus difficiles à mettre en œuvre. La pyramide des âges de notre population demande de nouveaux modes de gouvernance, de manière à compenser une inévitable perte de créativité. Sans tomber dans le jeunisme, il va falloir stimuler l’audace des jeunes et lui faire bon accueil. C’est aussi la politique d’immigration qu’il faut adapter. Des apports extérieurs de sang neuf et jeune est une des pistes les plus prometteuses de rééquilibrage, pendant quelques décennies encore. Cette opportunité n’est pas le problème des anciens, mais de toute la communauté nationale, qui doit s’organiser pour accueillir ces populations nouvelles, au lieu de les tolérer à reculons.
Il restera la question de la place des ainés dans la société. La seule perspective étudiée aujourd’hui est de les faire travailler plus longtemps. Le travail est-il la seule manière de se rendre utile, de voir du monde ? Ne peut-on faire preuve d’imagination pour un statut particulier adapté à leur situation ? L’affaire des retraites et de leur déficit pollue toutes les autres approches d’ordre sociétal. C’est pourtant là un débat essentiel, sur la qualité de la vie des ainés, la richesse de leurs relations, leurs apports à la société[1]. C’est en élargissant le chantier que des réponses originales peuvent être imaginées, et que l’on renouvellera le débat sur les retraites. Celui-ci n’est qu’une composante d’une question beaucoup plus étendue. Ce n’est pas aux ainés qu’il faut consacrer une secrétaire d’Etat, mais à la transition démographique. Un enjeu majeur, toujours abordé par petits bouts, et qui mérite une mobilisation de toutes les forces vives d’un pays comme la France.
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[1] On pourra se référer sur ce point à la lettre du BIPE (www.bipe.fr) de novembre 2006 qui titre « Les inactifs : continent englouti de l'économie ».
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