Enthousiasme
Une note en guise de bons voeux. Une année pour réussir la 21e « conférence des parties », la COP 21, qui se tiendra en décembre prochain à Paris. Une occasion en or de faire du développement durable un objet d’enthousiasme et de mobilisation populaire.
C’est aussi une ouverture à exploiter à fond pour éloigner la peur qui envahit notre société et la gangrène insidieusement.
La peur est bien là. Elle s’exprime à propos du terrorisme, qui peut frapper chez nous à tout moment. La délinquance et le sentiment d’insécurité la nourrissent quotidiennement, ainsi que les medias qui parlent plus de ce qui ne va pas que de ce qui marche. Le sentiment domine, que demain ne sera pas aussi bien qu’hier et que nos enfants vivront moins bien que leurs parents. La mondialisation et les mouvements de population font peur. Ajoutons la nostalgie, en France, des 30 glorieuses, du statut de « grande puissance » et de notre « empire colonial ». La comparaison mille fois répétée de nos performances respectives face à d’autres pays, comme l’Allemagne ou les pays asiatiques, ajoute une dose d’humiliation, qui n’arrange rien. Nous avons peur du futur. Nous n’avons plus foi dans le « progrès ».
Les conséquences de ce sentiment de peur sont redoutables. La peur paralyse. Plus question de prendre des risques ni de se lancer dans de nouvelles aventures. L’esprit d’initiative, le goût d’entreprendre, sont inhibés par la peur, qui provoque un repli sur soi. Je m’enferme dans mon donjon, je m’entoure de défenses, j’ai raison et ce sont les autres qui n’ont rien compris, tout le monde m’en veut, c’était bien mieux hier. Un phénomène cumulatif s’enclenche : plus on se replie, plus on régresse, plus on se sent fragile, et plus encore on a peur.
C’est sur ce sentiment que les partis nationalistes prospèrent. Ce sont les champions du repli, face à l’ouverture. L’Europe et la mondialisation deviennent les symboles d’une dégradation inexorable de nos conditions de vie, de nos mœurs, de la famille et de tout ce qui a donné du sens à nos sociétés occidentales.
Face à cette tentation, le développement durable est mal parti, lui qui consiste justement à changer profondément nos modes de vie pour ouvrir de nouvelles perspectives à l’humanité. Surtout si on ajoute un discours anxiogène de catastrophe imminente.
La lutte contre la peur n’est pas simple. Gardons-nous de l’attaquer de face, ça la renforce. Le simple fait d’évoquer la peur réveille des réflexes de défense. L’affirmation, maintes fois répétées par nos dirigeants de maintenant et d’hier, qu’il faut « protéger les français » ne fait que mettre le projecteur sur nos fragilités. Lutter contre la peur sans l’évoquer, c’est substituer d’autres sentiments, d’autres « émotions » pour reprendre le terme de Dominique Moïsi (1).
Le développement durable peut être cette valeur de substitution. Il en a tous les attraits, à condition de savoir les présenter convenablement. De quoi s’agit-il en effet, si ce n’est que rédiger une nouvelle page de l’histoire de l’humanité, dans un monde devenu « fini » ? Les modèles anciens de développement, imaginés pour un monde « infini », sont à bout de souffle, et les prolonger conduit à l’impasse. Il faut en inventer de nouveaux, et c’est justement- cette recherche qui est ce qu’on appelle le développement durable. Quoi de plus enthousiasmant ? Laissons largement ouvert le champ de l’exploration des futurs, et faisons de tous ceux qui s’y aventurent les héros des temps modernes. Le progrès n’est plus le simple prolongement du passé, mais une offre étendue, au sein de laquelle il faut choisir.
Cette définition du développement durable n’est pas unanimement reconnue. Elle présente cependant de nombreuses qualités, notamment de ne pas enfermer le concept dans des approches déjà présentes au fond de nos esprits, héritées du passé. La nouveauté du concept serait ternie par des scories de nos anciens modes de pensée. Et puis, cette définition ne s’oppose en rien à la pose de repères, bien utiles dans toute exploration. Les trois piliers et la gouvernance ne dessinent pas un futur, mais donne des points d’appui. Les 22 principes de la conférence de Rio proposent des objectifs partiels à atteindre sur la voie du développement durable, tout comme les objectifs dits « du millénaire ».
Abandonnons, en revanche, toutes les approches fondées sur la peur du futur et la culpabilité. Bien sûr, cette recherche n’est pas sans danger, il y aura surement des échecs, mais c’est la loi quand on relève des défis. Et abandonnons aussi la phrase désespérante souvent entendue : « de toute façon, on n’a pas le choix ». Bien sûr que le choix existe. Le développement durable se dessine au quotidien, chaque jour avec une somme de choix retenus par les uns et les autres. L’accent mis sur l’aventure commune, sur la découverte de nouveaux territoires, de nouveaux matins, voilà ce qui est susceptibles de créer un enthousiasme communicatif.
Les porteurs de la lutte contre le changement climatique, les défenseurs de la biodiversité, les tenants de la solidarité mondiale, et tous les « citoyens du monde » se trouvent aujourd’hui dace à une lourde responsabilité. Faut-il mettre l’accent sur les errements du passé, et les dangers qui nous attendent si on continue comme avant, ou sur la découverte de nouvelles perspectives, de nouveaux modes de vie, de nouveaux espaces de progrès pour nous-mêmes et nos enfants ?
Il s’agit de mobiliser les énergies et de créer un courant d’enthousiasme. La COP 21 offre une opportunité de choisir le discours. Basculer de celui, trop entendu, de la contrainte, de la culpabilité, de la peur du futur, vers celui des défis à relever, des opportunités à saisir, et des ambitions partagées.
1 - Auteur notamment de la « Géopolitique de l’émotion », Flammarion, 2008
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