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Gouvernance

Contraignant

 Les accords sur le climat doivent-ils être "contraigants". C'est le mot à la mode, car beaucoup pensent que "hors de la contrainte, point de salut". Et si ce n'était qu'un leure ?

Voilà un mot clé dans le débat sur la lutte contre le réchauffement climatique.

Un phénomène planétaire par essence, pour lequel les acteurs doivent prendre des engagements, et s’y tenir. A défaut, ce ne serait que des manifestations de bonne volonté, et encore, mais dont la probabilité d’occurrence serait bien faible. Il faut des engagements fermes, qui impliquent une contrainte sur ceux qui s’engagent.
Des accords contraignants, sinon rien, croit-on entendre de la part de nombreux interlocuteurs, notamment les ONG, mais pas seulement. L’observation des accords de ce type laisse penser que cette alternative n’est pas la meilleure. L’accord « contraignant » de Kyoto a-t-il été respecté ? L’exemple tristement célèbre du Canada montre le peu d’impact de ce qualificatif , qui n’a que peu d’influence sur les performances atteintes dans la pratique. Dans l’actualité d’aujourd’hui, le peu de respect par la Russie du dossier de candidature pour les jeux olympiques de Sotchi, que l’on aurait pu considérer comme contraignant, montre que les contraintes ne valent que s’il y a des sanctions possibles, et nous savons tous que plus les acteurs sont puissants, moins on peut les sanctionner. L’impunité des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre étant assurée, à quoi bon des accords « contraignants » ? N’est-ce pas là une manière redoutablement efficace de tuer dans l’œuf toute chance d’accord ? Ce ne serait pas la première fois que la bonne volonté des acteurs les plus engagés serait exploitée contre leurs objectifs. L’enthousiasme conduit parfois à une forme de naïveté coupable.
Le mot même de contraignant est contre productif. Il laisse penser que la contrainte est nécessaire, ce qui n’est pas très encourageant. La lutte contre le réchauffement climatique serait une pénitence, un « fardeau » à se partager par devoir. Nous avons fauté, il faut payer ! Conception dramatique, peu mobilisatrice, et renvoyant dans les faits aux responsabilités du passé. Celles-ci existent, bien sûr, mais elles sont complexes à démêler, et détournent de ce qui nous intéresse, le futur. Nous voilà avec un fardeau lié au passé : un héritage contraignant, dont chaque être sensé voudra se débarrasser au plus vite.
Avec les contraintes, nous parvenons au sommet des obstacles à éviter. Les Etats, notamment les émergents, rechignent à abandonner ne serait-ce qu’une parcelle de souveraineté ; chacun rejette la responsabilité de la situation actuelle ; les opinions publiques refusent leur part de fardeau, et leurs gouvernants avec eux ; on paye pour les fautes d’hier, le passé est autant présent que le futur ; l’avenir apparait sous les couleurs sombres de la privation et du serrage de ceinture. Bravo, avec un tel tableau, aucune chance d’aboutir. Tout au plus des accords partiels, repoussés à des conférences ultérieures, pour ne pas apparaître trop indifférent aux enjeux, et faire preuve de bonne volonté apparente. Nicholas Stern a d'alleurs lancé un appel pour « négocier autrement », en abandonnant l’idée de « contrainte » : « Ceux qui pensent qu’un traité international qui ne serait pas légalement contraignant manquerait de crédibilité font une lourde erreur » (Le Monde du 9 décembre 2014).
Une autre attitude semble possible, comme un autre monde. Une attitude résolument offensive, et tournée vers l’avenir. Il ne s’agit plus de payer sous la contrainte les dettes contractées hier, mais d’investir sur l’avenir. Plus de contraintes, mais un partenariat. Il y a des opportunités à saisir dans le nouveau monde, rapprochons-nous pour les faire émerger dans les meilleurs conditions possibles. Tous les pays ne se ressemblent pas, chacun a ses particularités, sa culture, son potentiel économique en ressources naturelles, en potentiel humain, etc. C’est un obstacle pour se partager des dettes, mais c’est un atout pour défricher des futurs autour de projets partagés.
Abandonnons donc la contrainte, pour nous lancer dans la recherche effrénée d’opportunités. Evidemment, cette voie gêne les intérêts liés à l’économie actuelle, et aux institutions économiques et sociales qu’elle a engendrées. Combien de brevets orientés vers l’économie nouvelle ont été achetés par les tenants de l’économie d’hier, pour les enterrer et empêcher tout autre modèle économique de se développer ? Le vieux monde résiste, jusqu’au jour où il trouvera son intérêt à basculer vers le nouveau. Voilà un beau challenge. Comment faire pour que les majors du pétrole trouvent plus d’intérêt à investir dans les énergies renouvelables que dans la recherche de nouvelles ressources de pétrole ou de gaz ? Nous les avons vu s’offrir quelques « danseuses », solaires ou éoliennes, pour faire chic et moderne, mais nous savons bien que leur cœur est ailleurs. Comme disait Keynes, « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ». C’est le moment de changer de centre de gravité, ou du moins d’engager une évolution tournée vers l’avenir et non accrochée au passé. La pression de nouvelles forces économiques, comme les techniques de l’information, peut sans doute être mise à profit pour cela.
Là est la vraie contrainte, non décrétée mais imposée par les faits. Il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans des traités. Abandonnons les objectifs contraignants, et concoctons un plan du développement économique d’un nouveau genre, volontaire et ambitieux, auquel chaque pays tiendra à participer spontanément.

 

 

 

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