Géopolitique et climat
Il y a longtemps que nous savons que l’essentiel des hydrocarbures que nous avons identifiés ne doivent pas être exploités, qu’ils doivent rester sagement dans les profondeurs de la Terre. Autant de réserves qu’il faut abandonner, et pourtant les recherches de nouveaux gisements se poursuivent, souvent dans des conditions extrêmes. Pourquoi ? Parce que la répartition de la ressource est irrégulière, que chacun, Etat ou grande compagnie, veut sa part de marché, parce qu’un potentiel industriel s’est constitué sur cette recherche. Ce sont des raisons d’ordre géopolitique qui font que la marche arrière semble bien difficile à enclencher, sans égards pour la satisfaction des besoins des humains.
Une marche arrière qui a fonctionné pour les armements nucléaires, mais qui semble bien abandonnée depuis quelques années. En 1987, par exemple, Reagan et Gorbatchev signaient un traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, dont l’objectif est le démantèlement d’une partie des arsenaux de part et d’autre. Il a tenu une trentaine d’années, pour disparaître en 2019 sous les coups de Poutine et de Trump. Viennent ensuite, courant des années 1990, les traités START, pour la réduction des armes stratégiques, qui n’ont pas empêché un nouveau venu, la Chine, d’augmenter massivement son armement. Malgré (ou à cause) de la crise, les dépenses d’armement sont aujourd’hui en nette hausse, +2,6% entre 2019 et 2020 selon le Stockholm International Peace Research Institute alors que le PIB mondial était en baisse, de 3,3% selon la banque mondiale. C’est aujourd’hui plus de 2% du PIB mondial qui est consacré à des armements, et les évènements que nous vivons laissent penser que ce pourcentage pourrait poursuivre sa progression. Des sommes considérables, qui ne serviront guère à l’amélioration des conditions de vie des humains et à la prospérité de la planète. Le prix des matériels militaires est toujours à prendre avec précaution, mais on parle de 2 milliards d’euros pour un gros bombardier américain, 3 ou 4 milliards pour un porte avion (sans compter son fonctionnement), et plus modestement 100 millions d’euros pour un Rafale, et seulement 1 million pour un véhicule blindé.
Les traités de limitation ou de réduction des dépenses d’armement nucléaire avaient notamment pour ambition de transférer des budgets de la défense vers la développement économique et social. A l’inverse, la relance des dépenses d’armement va peser lourd en termes de prélèvements de ressources naturelles, d’énergie, et d’émission des pollutions qui vont avec. La lutte contre l’effet de serre, l’adaptation de nos sociétés aux défis environnementaux, climat, biodiversité, vont durement en souffrir, sans compter les drames humains que les conflits engendrent. Eviterons-nous les émeutes de la faim consécutives à la pénurie de blé ? Dans son célèbre rapport sur l'économie du changement climatique, publié en 2006, Nicholas Stern évaluait à 1% du PIB mondial le montant à investir pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, à comparer au coût de l’inaction, au minimum cinq fois supérieur.
Affirmation de puissance, volonté d’imposer un modèle de société, concurrence sur l’accès à certaines ressources dites « stratégiques », vieilles rivalités et besoin de vengeance, nostalgie d’un passé souvent idéalisé, fatalité des enchainements d’évènements et d’engagements, les raisons qui provoquent des conflits sont multiples. Le besoin de s’y préparer est bien réel, et il suffit d’un acteur du monde géopolitique, et pas toujours d’un acteur majeur, pour lancer un processus de réarmement. Un piège qui se referme progressivement et conduit les sociétés les plus pacifistes à s‘y engager, au détriment d’autres enjeux. Sans même imaginer le pire, l’usage de l’arme nucléaire, tactique ou encore plus puissante, le conflit va affecter tous les efforts de réduction de l’effet de serre, de lutte contre l’effondrement de la biodiversité, de restauration des océans, et de tous les programme d’amélioration de la qualité de la vie, considérée comme un luxe dans le monde d’aujourd’hui. Espérons malgré tout que les efforts d’économie d’énergie et de matières premières que la situation imposera laisseront des traces, comme l’avaient fait les crises pétrolières des années 1970, un « monde d’après » plus sage. Fallait-il une guerre pour obtenir ces avancées ?
Edito du 16 mars 2022
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