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Gouvernance

Colibri

colibri candi foltz l23EsqKgDts unsplashL’histoire est bien connue dans les milieux de l’environnement. La voici, pour ceux qui ne la connaitraient pas.
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »
Et le colibri lui répondit :« Je le sais, mais je fais ma part. »
Mon premier réflexe a été la consternation. Le colibri se donne beaucoup de mal, ça ne sert à rien et il le sait, ce qui ne l’empêche pas de continuer. Nous savons qu’il n’est pas besoin d’espérer pour entreprendre, mais cet acharnement semble bien désespéré. Pourquoi le colibri, pauvre petit, s’est-il engagé dans cette galère sans espoir ?
Pour se mettre en règle avec sa conscience. Il s’en voudrait de rester inactif devant le drame qui se déroule sous ses yeux. C’est une bonne raison pour soi-même, mais elle ne changera rien au résultat. Ce comportement est fréquent. L’impuissance face à un évènement provoque un besoin de réaction, même sans effets concrets. Ça peut être une goutte d’eau, ou bien la colère, ou encore une crise de nerf, tout est mieux que la passivité. Normal, mais peut-on s’en satisfaire ? Face à la dégradation de l’environnement, il ne suffit pas d’avoir bonne conscience, il faut gagner. En l’occurrence éteindre le feu. L’agitation la plus vertueuse ne peut tenir lieu de réponse. Elle peut même empêcher de réfléchir à une réponse effective, pour lutter contre le drame. La morale n’est pas toujours bonne conseillère.
Pire, elle a souvent perverti l’image des actions en faveur de l’environnement, en faisant croire qu’il s’agit d’une bonne action, la BA du scout, sympathique, mais sans intérêt réel dans la vie, un luxe. L’approche moralisatrice a pu détourner d’une vision plus concrète, fondée sur des considérations pragmatiques, les couts sociaux, les risques encourus. Il faut dé-moraliser le développement durable, pour le faire prendre au sérieux par les décideurs.
Une exception cependant à ce principe. Retour au colibri et sa goutte d’eau. Au lieu de proclamer qu’il fait sa part, ce qui pourrait culpabiliser les autres animaux de la forêt, qui restent passifs, son attitude pourrait entraîner ces derniers, les encourager à se lancer dans le sauvetage de leur habitat et de leur garde-manger. C’est l’expression « faire sa part », centrée sur le colibri, qui ne fonctionne pas pour les autres, qui ne les motive pas. Le reproche implicite qu’elle contient conduit au repli sur eux-mêmes de ceux que le colibri voudrait embrigader dans son entreprise de sauvetage. Donner l’exemple est à double tranchant, selon la manière dont les « cibles », les personnes que l’on souhaite mobiliser, le perçoivent. Si elles ressentent une sorte de blâme, ou pire encore une impression de honte, peu de chance de succès, ça peut même être le contraire, une hostilité envers celui qui dérange. Une promesse de résultats, un espoir au moins, une lumière dans la nuit, donne de bien meilleurs résultats pour catalyser les énergies et les canaliser vers l’action. Faut-il encore que l’action proposée, la goutte d’eau, fasse espérer un minimum de résultat, ce qui ne semble pas le cas dans notre histoire. Un colibri mobilisateur, qui ouvre des perspectives, oui, un colibri moralisateur, représentant la « bonne conscience », non.
La fin de l’histoire du colibri, d’origine amérindienne, n’est d’ailleurs pas très encourageante pour le colibri, finalement hors-jeu, et supplanté par un autre personnage, bien plus violent, le sanglier. Il ne suffit pas de faire sa part, il faut se donner les moyens d’entrainer l’ensemble de la société, sans réveiller de forces hostiles.
En matière de développement durable, alliant à la fois le bien-être des humains et la prospérité de la planète, nombreux sont ceux qui font la morale, et alertent l’opinion. Sans mettre en doute leur objectif, d’obtenir les changements sociétaux nécessaires, reconnaissons qu’ils ne sont pas parvenus aux résultats espérés. Ils participent plutôt au développement de l’éco-anxiété, plus déprimante qu’encourageante. Offrir des perspectives, donner les motivations aux acteurs économiques et sociaux pour transformer leurs modes de vie et de travail, est une voie plus prometteuse, car les changements ne se feront jamais sans l’adhésion des principaux intéressés. Pour illustrer cette manière de faire, prenons le secteur du bâtiment, un des premiers concernés par la lutte contre l’effet de serre. Dans son dernier ouvrage, Alain Maugard propose à toutes les professions concernées de devenir des « acteurs majeurs des changements sociétaux ». Ils en ont l’opportunité, et ont déjà engagé les mutations qui leur permettront d’assurer un rôle de pilotes du changement. De quoi donner envie de « faire sa part » en entraînant l’ensemble de la société.

Photo : Candi Folz/Unsplash
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