Philosophie
Notre société est en profonde mutation. Confrontée à des crises multiples, alimentaires, financières, humanitaires, pétrolières, etc., elle cherche désespérément des réponses, avec un souci bien compréhensible d’immédiateté. La pression est forte, les contradictions multiples, les intérêts divergents, du moins en apparence et à court terme.
En France, les sondages de ce début d’année 2010 nous apprennent que nos concitoyens pensent à une large majorité que demain sera moins bien qu’hier.
Dans un article récent, Edgar Morin présente une alternative à la désintégration qui nous menace : la métamorphose(1). L'idée de métamorphose, plus riche que l'idée de révolution, en garde la radicalité transformatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, de l'héritage des cultures). Bien qu’improbable, par opposition à la désintégration qui, elle, constitue le probable, elle est déjà en marche : Tout en fait a recommencé, mais sans qu'on le sache. Nous en sommes au stade de commencements, modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Car il existe déjà, sur tous les continents, un bouillonnement créatif, une multitude d'initiatives locales, dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la réforme de vie.
Cette métamorphose ne doit pas être enfermée. Le risque est grand que les résistances au changement se manifestent avec force, tant il est difficile de prendre du recul par rapport aux idées qui nous ont façonnés depuis notre enfance et au cours de notre histoire, qu’elles soient personnelles ou collectives. La difficulté n’est pas de comprendre des idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes disait l’économiste John Maynard Keynes. La métamorphose doit aussi tirer ses racines dans la vie réelle, les questions auxquelles nous sommes confrontés chaque jour.
Il faut donc créer un cadre, à la fois rassurant, ancré dans le réel, et porteur d’innovations, libérateur du carcan des solutions traditionnelles, prêt à porter ou prêt penser. Une contradiction qui peut être fructueuse si l’on sait en sortir par le haut.
Une réponse, que le Grenelle de l’Environnement développe abondamment, est la création de normes exigeantes, qui obligent à revoir sa pratique, à s’interroger sur leur bien fondé, et à accepter progressivement l’idée d’un grand chambardement. Le danger est de voir dans ces normes des cases à remplir, une simple procédure pour obtenir des labels et autres récompenses, et de ne répondre aux exigences que formellement. Haro sur les labels et les règlements, voilà un discours bien connu, largement porté dans les milieux de la création. Ces grilles à respecter seraient des obstacles à la créativité. C’est vrai, si on n’en voit que la partie visible, le document à remplir. C’est faux, si on s’intéresse à l’iceberg tout entier, à la démarche qui conduit à formuler telle ou telle exigence. Bien plus, la compréhension de l’ensemble donne une réelle liberté pour appliquer la partie formelle.
La philosophie source de liberté, expression bien connue, mais vite oubliée, dans le feu de l’action, sous la pression des évènements. Les exigences formelles, oui, si on ne peut pas y échapper, le reste est de la philosophie, entend-on dire, avec une pointe de mépris ou d’exaspération. Et bien non, les exigences formelles et la philosophie sont indissociables. La philosophie sans exigences claires en termes d’objectifs ne résoudra pas le problème du réchauffement climatique. L’abandon de toute forme d’intelligence dès qu’il s’agit d’appliquer des normes enfermerait la création dans une reproduction à l’infini de modèles et de solutions techniques uniformes, bien tristes et vite sclérosées. La sensibilité est le moteur de l’intelligence, disait Paul Valéry. En ces temps de métamorphose, la philosophie est celui de l’innovation.
1 - Eloge de la métamorphose, Point de vue d'Edgar Morin LE MONDE (09.01.10)
Photo : David Marcu / Unsplash
Chronique publiée le 18 janvier 2010
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