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La difficulté d’échapper aux idées anciennes

“La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes”, nous dit l’économiste John Maynard Keynes. Résultat : la plupart de nos dirigeants, politiques, économiques, syndicaux, associatifs, culturels, religieux, et j’en passe, tout comme les commentateurs, journalistes et autres influenceurs, raisonnent dans le monde du passé, et ont le plus grand mal à s’inscrire dans une perspective d’avenir. Un véritable frein dans la recherche de futurs inédits, qui passe par une remise en question du passé, et demande un détachement par rapport à l’existant.
Plusieurs exemples dans l’actualité pour illustrer ce phénomène, qu’il va bien falloir surmonter.
Le vieillissement de notre population. Phénomène bien observé, et aisément prévisible malgré quelques irrégularités dans les courbes. Nous allons vieillir, et il faudra s’y adapter. Eh bien, nombreux sont encore ceux qui veulent lutter contre cette tendance, les mêmes parfois qui s’inquiètent de la surpopulation mondiale. Ils préconisent une politique nataliste, pour pousser les couples à faire plus d’enfants. Ils y voient aussi une marque de notre puissance, bien dérisoire quand on sait que nous représentons 1% de la population mondiale. Ce n’est pas par la démographie que nous serons grands, il faut trouver autre chose. Le vieillissement de la population est perçu comme une calamité, alors que c’est notre avenir, inéluctable, à moins que nous préférerions miser sur l’immigration de jeunes, pour nous donner un ballon d’oxygène. Quel que soit le choix, il nous faut organiser la société pour mieux y intégrer les vieux, au lieu d’essayer de gagner du temps, et de laisser cette tâche à nos héritiers. La question des retraites s’inscrit dans ce contexte. Le point de départ de la réflexion aurait du être le vieillissement, avec tous ses conséquences sociales et économiques, plutôt que l’équilibre des comptes, approche comptable stérile dès que l’on entre dans un sujet de société. La vieillesse n’a pas que des défauts. Comment profiter de ses vertus, de manière adaptée, bien sûr ? L’exclusion des vieux des entreprises, dont il est fortement question aujourd’hui, ne vient-elle pas de notre incapacité à valoriser les atouts de la vieillesse ?
Le débat sur l’énergie est engagé. Il s’agit de fixer le cadre de notre futur énergétique, comme le choix du nucléaire que Messmer avait fait en 1974. Les temps ont changé, il ne s’agit plus principalement d’indépendance énergétique comme au lendemain des crises pétrolières, mais aussi de décarbonisation, et donc d’abandon à marche forcée des énergies fossiles. Deux grandes options sont sur la table, non exclusives, le nucléaire et les renouvelables, solaire et éolien essentiellement. Une option fortement centralisée, avec des financements publics, et une autre à développer par des entreprises privées et des initiatives locales. La première ne donnera des résultats dans une quinzaine d’années, à des prix bien supérieurs que ceux pratiqués aujourd’hui, la seconde les produit progressivement à partir de maintenant, au prix actuel du marché, celui d’avant la crise. Dans le monde, les énergies renouvelables occupent la première place pour les capacités de production créées l’an dernier. Eh bien, elles semblent reléguées à un rôle d’appoints, comme si nos dirigeants ne croyaient pas à leurs performances, et considéraient ces énergies comme marginales, ou immatures. Les idées anciennes ont la vie dure.
Dernier exemple dans le champ politique, voire politicien. L’absence de majorité absolue dans l’actuelle assemblée préfigure ce que pourrait être une assemblée élue à la proportionnelle. Mais nous sommes tellement habitués aux majorités absolues que les commentateurs ne cessent de la mentionner comme une anomalie, que le Gouvernement est à la recherche d’une majorité absolue, et que les partis politiques qui réclament la proportionnelle s’efforcent de bloquer les débats plutôt que de faire la preuve qu’une assemblée sans majorité absolue peut fonctionner utilement. L’article 49-3 est vilipendé, alors qu’il serait incontournable (lui ou un autre dans le même esprit) en l’absence de majorité absolue pour éviter la paralysie de l’Assemblée. L’apprentissage de la proportionnelle est bien dur, quand on n’a connu que le scrutin majoritaire.
Nous sommes empêtrés dans nos modèles anciens, nous avons du mal à accepter que le monde ne soit pas infini, comme nous le pensions avant que nous approchions ses limites. Paul Valéry nous l’avait bien dit, « Le temps du monde fini commence », c’était en 1931. Nous restons accrochés à nos vieilles certitudes, elles nous rassurent mais nous empêchent de progresser. Il va bien falloir, malgré tout, à changer de mode de penser, car nous ne trouverons pas les solutions à nos problèmes avec l’état d’esprit qui les a provoqués, comme disait Albert Einstein.

Edito du 15 février 2023

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