Du bon usage des études d’impact
Ces aspects-là sont bien absents de l’étude d’impact, et cela dès la première partie, le diagnostic, ou l’étude de l’état initial. Il ne s’agit que d’une analyse financière, la situation, l’activité des retraités et leur apport à la nation n’apparaissent nulle part dans le texte. Il s’agit bien d’une réforme comptable, pour équilibrer des comptes, mais son « impact » va bien au-delà, et c’est ce nous aurions aimé voir dans l’étude d’impact. C’est comme si, pour un projet routier, l’étude d’impact servait juste à dire que la route va bien permettre de rouler entre deux destinations. Elle doit, bien au-delà, mettre en évidence les changements que l’ouvrage pourrait provoquer autour de lui, sur la base d’un état des lieux exhaustif. Dans le cas présent, la réforme qui va toucher notamment l’équilibre du monde des retraités, avec l’hypothèse implicite qu’ils n’apportent rien à la société, que ce ne sont que des assistés. Leur apport a pourtant été souvent analysé, et il est considérable. Quid de la réforme sur ce point, nous n’en savons rien.
Les retraités, et surtout les plus jeunes d’entre eux, participent activement à la vie sociale, avec des conséquences économiques évidentes. Que seraient les restos du cœur sans les retraites bénévoles ? Combien de fonctionnaires faudrait-il pour compenser leur absence ? La question de la garde d’enfants, où les retraités grands-parents jouent un rôle important avec des conséquences sur les politiques familiales, n’existe probablement pas aux yeux des auteurs de l’étude d’impact. De même que l’aide au maintien à domicile des parents des jeunes retraités. Autant de conséquences sociales ignorées.
Il y a aussi des conséquences économiques. La régularité des revenus des retraités est un atout extraordinaire. Ils peuvent acheter à crédit en toute sécurité : la moitié des voitures neuves sont achetées par des retraités, par exemple. Tout changement de leur situation peut avoir un effet sur leur consommation, avec des conséquences sur l’économie. La sécurité financière dont ils bénéficient leur permet de consolider les projets de leurs enfants et petits-enfants, ils jouent un rôle de tampon en cas de crise économique. Les retraités sont aussi des acteurs de l’aménagement du territoire. Leurs pensions irriguent les campagnes où beaucoup se retirent, ils soutiennent ainsi l’économie locale, font travailler les artisans, permettent de maintenir un minimum de services publics ou privés, des commerces notamment. La masse financière que représente les retraites représente un puissant outil économique, aspect complètement ignoré de l'étude d'impact.
La réforme envisagée n’a peut-être aucun impact sur ces équilibres construits avec le temps au sein des familles, des activités économiques et des territoires, mais nous aurions bien aimé en avoir le cœur net. C’est pour ça que les études d’impact ont été créées.
Il y a bien quelques sujets d’ordre social, tels que l’égalité Femme-homme, ou l’emploi des seniors, directement impactés par la réforme, mais c’est bien peu par rapport l’ensemble des domaines susceptibles d’être touchés, en bien ou en mal. L’étude d’impact, dont « la préparation doit être engagée dès le stade des réflexions préalables sur le projet de réforme », doit permettre de réduire les impacts défavorables, mais aussi de maximiser les impacts positifs. Il ne faut pas pour autant mettre l’accent sur ces derniers et ignorer les premiers. Ce serait un détournement de la loi. Le « guide de légistique » précise bien que l’étude d’impact « ne doit être ni un exercice formel de justification a posteriori d’une solution prédéterminée, ni une appréciation technocratique de l’opportunité d’une réforme qui viendrait se substituer à la décision politique ».
Recommandée par l’OCDE dès 1995, l’étude d’impact en matière législative a été instituée en France par une loi organique du 15 avril 2009, à la suite de la réforme constitutionnelle de juillet 2008. Les études d’impact environnementales, crées en 1976, ont mis du temps à gagner en qualité, pour donner tous leurs effets. Il semble bien que ce soit la même chose en matière législative. Il y a encore des progrès à faire.
Edito du 1er février 2023
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