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Les sciences du comportement, pour introduire de l’humain dans le changement.

Ça n'avance pas. C’est exaspérant. Les mesures à prendre sont bien connues, mais elles n’arrivent pas à progresser, ou si peu… Un constat fréquent que nous faisons, dans la vie privée comme pour les affaires publiques. Restons sur ces dernières. Rappelez-vous la commission Attali, « pour la libération de la croissance française ». C’était en 2008. 316 propositions, que les commentateurs de l’époque avaient trouvées très classiques, un bon résumé des demandes mille fois faites et depuis longtemps par de multiples experts. 316 propositions restées sans suite, ou très peu. Si elles n’ont pas été suivies d’effets, c’est sans doute parce que la question posée n’était pas la bonne. Au lieu de se dire « que faut-il faire », il convient de s’interroger sur « pourquoi ces mesures qui semblent de bon sens ne sont pas prises ». Il y a plusieurs types de réponses à cette question, que l’on peut diviser en deux grandes catégories.

Tout d’abord, parce que les mesures qui apparaissent si évidentes ne le sont pas. Les « fausses bonnes idées ». Des dispositions issues de théories qui ont du mal à entrer dans la pratique, ou dont les effets indirects ont été mal évalués, ou encore qui ignorent les intérêts de telle ou telle partie des protagonistes. Le réflexe sera souvent de stigmatiser les conservatismes, d’accuser l’inertie des mentalités, les résistances au changement, et bien sûr le poids des lobbies. L’autre famille de réponses réside dans la maladresse des dirigeants et des experts. Il ne suffit pas d’avoir raison pour gagner, pour emporter la décision. Ce type de propositions aura pour effet d’impacter durablement les pratiques, c’est même leur objectif, et il faut jouer avec les principaux intéressés. C’est du jeu des acteurs que tout dépend. Des acteurs aux préoccupations diverses, parfois contradictoires. Leurs situations, leurs besoins et leurs envies, leur position dans la société, déterminent leur capacité d’adhésion à des mesures, susceptibles de bouleverser les équilibres et les habitudes. Les statuts des acteurs sont en jeu, autant que leurs intérêts. Une bonne connaissance du jeu des acteurs face à des trains de mesures lourdes de conséquences est la condition incontournable du succès. Les comportements humains ont de nombreux ressorts, que les sciences cognitives cherchent à comprendre, mais qui semblent bien absentes des cercles de décision.
L’histoire nous apporte quelques exemples d’une bonne utilisation des comportements humains, dont celui bien connu de la manière dont Parmentier assura la promotion de la pomme de terre. Aujourd’hui, les plaisanteries sur le vaccin anti COVID circulent sur Internet : pour convaincre les hésitants, voire les récalcitrants, rien ne vaut le spectre de la pénurie et du risque de s’en voir privé.
Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, la CCC, doivent être examinées au filtre de cette compréhension du jeu des acteurs. Elles étaient pour l’essentiel portées par des associations depuis longtemps, au point que de nombreux observateurs ont été surpris : le recours à des esprits neufs aurait pu ouvrir de nouvelles pistes de réflexion, mais il n’en a rien été. Voilà donc des propositions déjà bien connues, et réputées apporter des réponses à la difficile question du changement climatique. Comment ne seraient-elles pas reprises ? D’après les sondages, l’opinion publique est très favorable aux mesures d’ordre général, ou qui ne concernent que « les autres ». Elle réagit vivement à la seule qui pourrait les concerner personnellement et directement, la limitation de vitesse des voitures. La déception face aux mesures retenues aujourd’hui par le gouvernement est évidemment attribuée aux poids des lobbies, voire au système capitaliste. Les 150 citoyens ont travaillé avec des experts, mais on cherche en vain dans leur liste des spécialistes du comportement. Là encore, la question est plus de convaincre de l’intérêt de passer aux actes et d’en donner envie que de proposer une liste de choses à faire. Les sciences du comportement peuvent apporter des réponses ou des éléments de réponse sur la mobilisation des acteurs, la prise en compte de leurs envies et de leurs préoccupations, mais faut-il encore penser à les solliciter, ce qui ne semble pas avoir été envisagé.
Changeons d’échelle. Au niveau international, le climat est suivi par le GIEC, et la biodiversité par l’IPBES. Des experts scientifiques et gouvernementaux. Des instances qui nous décrivent les phénomènes et nous disent ce qu’il faudrait faire pour en reprendre le contrôle. L’humain et les comportements ne figurent pas dans leurs compétences, alors que le succès dépend largement des réactions des humains et des communautés humaines. Un GIEC des comportements est né en juin dernier, à l’initiative de plus de 1000 scientifiques et experts. Groupe international et interdisciplinaire d’experts sur l’évolution des comportements, GIECO, International panel on behaviour change IPBC en anglais. Il serait temps de lui donner toute sa place aux côtés de ses ainés, et d’associer systématiquement cette compétence aux nombreuses instances en charge de promouvoir le changement. Ce serait plus fructueux que d’incriminer les « usuals suspects » comme les lobbies.

 

Edito du 20 janvier 2021

 

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