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Gouvernance

Sociétal

Le développement durable a secrété son vocabulaire, et parmi les mots ainsi apparus figure Sociétal. Un incontournable du développement durable, distinct de social, et dont les entreprises se sont emparées pour définir leur responsabilité sociétale.

Un mot discuté, et même rejeté par les académies. « L’Académie française considère en effet que par l’étendue de ses sens, social couvre tous les champs d’emploi possibles. « Sociétal », que certains dictionnaires enregistrent avec le sens de « relatif à la vie sociale », vient dans certains champs du langage – sociologie, économie, etc. – concurrencer « social » qui se charge alors d’un sens plus politisé ; mais il n’y a aucune raison morphologique à cette répartition de l’usage ». Même son de cloche à l’académie des sciences morales et politiques. « Observant que le terme « social » renvoie à la vie collective ou commune tandis que le terme « sociétal » touche plutôt à la vie privée », elle s’est référée à Edward Gibbon, Friedrich Hegel, Alexis de Tocqueville et Hannah Arendt pour constater que « le surinvestissement du domaine privé est la conséquence d’un affaissement des vertus publiques par déclin de l’idéal commun et de la volonté commune ». Haro sur le sociétal, qui n’apporte rien pour la première, et plutôt du négatif pour la seconde. Et vive le social.
Pourquoi donc, malgré ces avis autorisés, certains s’évertuent-ils à employer le mot Sociétal ? Serait-ce pour noyer le social, au sens politique du terme, et masquer une faiblesse de ce côté ? Ou bien est-ce que, comme d’habitude, les académies, tels les carabiniers, arrivent toujours trop tard… La société n’arrête pas de bouger, ses modes de vie, ses manières de voir le monde, et le mot Sociétal serait plutôt un reflet de ces transformations qui nous affectent depuis que la conscience de la finitude du monde s’est imposée. Wiktionnaire semble plus à jour, et donne un sens particulier à Sociétal : « Qui se rapporte à la structure, à l’organisation ou au fonctionnement de la société ». Nous ne sommes pas loin de la gouvernance, de la manière dont une société s’organise, dont elle prend en compte les contraintes et les aspirations de la population.
Peu importe cette querelle Social/sociétal, l’essentiel est de comprendre ce qu’il y a derrière, quels sont les acteurs qui donnent vie au concept. Une note du Comité 21 (1) lui donne une signification dynamique : « Les générations présentes et futures sont et vont être confrontées à une remise en cause majeure de leur mode de vie et de consommation. Ce basculement, déjà initié et de plus en plus rapide, ne se fera pas sans des mutations sociétales profondes et des défis majeurs à relever par tous les acteurs, étatiques et non étatiques ». Et le mot « engagement » vient s’associer à sociétal, car il s’agit de prendre la main sur le futur au lieu de le subir. Tous les aspects de la vie sont concernés, et tous les acteurs, notamment les entreprises.
La demande publique s’exerce souvent à l’endroit des décideurs politiques, mais les entreprises sont des acteurs majeurs dans la transformation de la société, elles ont un rôle particulier à remplir. On parle alors de responsabilité sociétale des entreprises (ou des organisations), qui va bien au-delà des relations sociales au sein de l’entreprise, pour englober l’ensemble des « parties prenantes », son environnement social et naturel. En France, depuis 2001, une loi dite « nouvelles régulations économiques », ou NRE, a initié la démarche, qui s’est renforcée depuis à l’aide de lois, notamment la loi PACTE du 22 mai 2019, et d’engagements des entreprises les plus sensibilisées.
Ce n’est pas par philanthropie que les entreprises ont choisi cette orientation, qui remet souvent en cause des stratégies et des organisations. Quand elles ont fait leur apparition au Sommet de la Terre de Johannesburg (Rio + 10), nombreux sont ceux qui ont hurlé à a trahison. Les pollueurs, responsables de tous les dégâts dont la planète est victime, au secours de l’environnement ! Mais oui, justement, s’ils sont responsables de la situation, mobilisons-les pour bénéficier de leur puissance d’action. Un pari qui n’est pas gagné d’avance, mais une chose est sûre : sans l’adhésion du monde de l’entreprise, nous aurons bien du mal à corriger une trajectoire qui nous conduit à l’impasse.
Plusieurs raisons peuvent influencer le comportement des entreprises. Tout d’abord, réduire les risques que le changement d’époque, notamment climatique, peut leur faire courir. Investir dans des projets sans avenir n’est pas une bonne affaire. La finance n’est pas encore « verte », mais l’évolution est en cours, et les investisseurs seront de plus en plus attentifs aux impacts des activités qu’ils financent. Les actionnaires se manifestent en assemblée générale pour demander quels sont les plans envisagés pour réagir à la nouvelle donne climatique. A défaut d’adhésion à des valeurs, la prudence conduit à la sagesse.
 Ensuite, mobiliser leurs troupes. Près de 9 salariés sur 10 sont en quête de sens dans leur travail (2), et leur engagement est un facteur important de productivité. Les nouveaux venus sur le marché du travail mettent en avant des exigences auprès de leur futur employeur, comme en témoigne le manifeste des étudiants pour un réveil écologique, qui confirme les conclusions d’une étude de 2016 : « Pour choisir un poste, les trois critères majeurs par ordre décroissant sont l’intérêt du poste, l’ambiance de travail et les valeurs, la rémunération arrive loin derrière. Cela ne signifie pas que l’argent ne compte pas, mais il n’est pas premier » (3).
Et la réputation, enfin. L’image des entreprises vis-à-vis de leurs clients, et parfois aussi de leurs fournisseurs. Les consommateurs « responsables » ne sont peut-être pas encore les plus nombreux, mais l’opinion évolue rapidement, et le moindre accident peut faire apparaître un « scandale » affectant durablement l’image d’une firme, sans parler d’éventuelles suites juridiques.
L’engagement sociétal n’est pas généralisé, il s’en faut, mais il devient de plus en plus une référence. Il inclut bien sûr le « social » qu’il inscrit dans une approche plus large, étendue à la société, comme son nom l’indique, et à son futur. Le « sociétal » devient ainsi la manière de traduire concrètement les objectifs du développement durable, chacun dans son domaine d’influence.

1 -   Engagement sociétal des entreprises :  de la RSE vers une stratégie de transformation à la hauteur des enjeux sociétaux du 21ème siècle. Mars 2019.  www.comite21.org   

2 -  Sens au travail ou sens interdit ? Pour s’interroger enfin sur le travail, Deloitte et Viadeo, Décembre 2017
https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/talents-et-ressources-humaines/articles/etude-sens-au-travail.html

3 - Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi. Et si l’Economie Sociale et Solidaire était une solution ?, Ipsos, la Conférence des grandes écoles (CGE) et le Boston Consulting Group (BCG), janvier 2016. https://www.ipsos.com/sites/default/files/files-fr-fr/doc_associe/consultation_ipsos-bcg-cge.pdf  

 
 
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