Il était une bergère
©Editions du Rouergue, 2020
L’ouvrage est présenté comme un « témoignage ». C’est aussi un manifeste pour un autre modèle agricole, que l’on peut résumer par la confrontation élevage versus production animale. Deux expressions qui pourraient désigner la même chose mais qui, dans la pratique, recouvrent deux réalités très différentes.
Le témoignage est celui de Stéphanie Maubé, la bergère du titre, présenté par Yves Deloison, écrivain et journaliste. C’est l’histoire d’une citadine qui, au hasard de la vie, se trouve plongée dans l’univers les moutons de prés salés à quelques encablures du Mont Saint Michel. Une néo rurale qui se lance dans une aventure compliquée, dont nous découvrons les aléas sur une dizaine d’années d’existence. Une occasion de faire une « exploration du monde agricole », renouvelé en bonne partie (près de la moitié des nouvelles exploitations) par ces nouveaux arrivants parfois pleins d’illusions.
Il y a en premier les difficultés d’intégration, et de relations avec des voisins qui ressentent la nouvelle venue comme une intruse, avec en fond de décor une concurrence sur le sol et les brebis, dont le nombre est fixé pour tout le secteur, le « havre », celui de Saint-Germain-sur-Ay en l’occurrence. Un secteur protégé à de nombreux titres, et des prés salés appartenant au domaine public maritime. Les injonctions contradictoires sont légion, du type nécessaire proximité de la bergerie et interdiction de construire, par exemple. Vous saurez tout des relations difficiles avec les voisins, les organismes professionnels, les nombreuses administrations qui ont un mot à dire soit sur l’activité soit sur le territoire. Une situation ubuesque, traduisant une forme d’interdiction de fait, masquée par des règlements ou des pratiques calibrés, semble-t-il, pour favoriser les exploitations existantes et de bonne taille. Des blocages que Stéphanie affronte avec ténacité, tout en respectant les règles du jeu. Les aventures d’une parisienne néorurale face au « rouleau compresseur de l’agriculture et de ses instances » sont révélatrices d’une organisation obsolète qui laisse la plupart des agriculteurs aux prises avec des difficultés financières et administratives croissantes, des journées de travail à rallonge, un revenu dérisoire, l'abandon ou le suicide pour les plus désespérés. Un constat paradoxal : « Les agriculteurs partagent les valeurs de la conf’ mais votent FNSEA ».
Les comices sont un temps fort de la vie agricole, une occasion de montrer la qualité de sa production. Mais les critères de sélection, pour les races locales souvent en difficulté, privilégie aujourd’hui des caractères esthétiques, « mais paradoxalement ils se fichent que la race ne parvienne plus à valoriser l’herbe ». Les labels eux-mêmes, garant de la qualité, sont souvent détournés et le terme « produit à la ferme » devrait souvent être remplacé par « produit à l’usine ».
Nos auteurs défendent vigoureusement une agriculture dite paysanne, respectant les hommes et les animaux. Ils souhaitent humaniser l’abattage, notamment avec des unités d’abattage mobile, ou à a ferme, possibilité ouverte à titre expérimental par la récente loi sur l’agriculture et l’alimentation. Ils revendiquent la place de l’élevage dans le paysage et s’insurgent contre le véganisme qui mélange les filières industrielles et fermières, et selon eux conduirait à l’extinction de nombreuses espèces. La confusion entre élevage et production animale, où ledit animal est une simple matière première, est mise en évidence : « Produire de la matière animale n’a rien à voir avec l’élevage ».
Cette exploration nous permet d’approfondir nos connaissances sur le mouton, son caractère et son mode de vie, et l’économie du mouton, viande et même laine, produit délaissé que Stéphanie tente de remettre en vedette. Elle nous fait découvrir les vertus du pastoralisme, « qui assure la majesté des paysages ».
Il était une bergère, témoignage et manifeste à la fois, un livre d’aventure et un regard engagé sur l’agriculture d’aujourd’hui.
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