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Un menu végétarien « de substitution » imposé dans toutes les cantines ? Une fausse bonne idée, mal orientée et précipitée…

 Cet été, la proposition du député Yves Jégo de généraliser dans les cantines scolaires et de façon obligatoire, « un menu de substitution » végétarien a paru surprenante et précipitée. Tandis que la gestion des repas sans porc fait l’objet de décisions de justice et de polémiques, la recherche d’une réponse laïque pourrait ainsi conduire à adopter rapidement une réponse générique : assurer l’obligation nourricière des collectivités envers tous les publics par des repas sans viande et sans couleur confessionnelle.


Pas sûr que notre député eût suggéré cette mesure s’il avait été en charge de gérer les récents épisodes de la crise que traversent les éleveurs français ! Plus généralement, même si les végétariens se réjouissent d’une telle possibilité, l’obligation est-elle la bonne méthode, et la précipitation bonne conseillère face aux questions de fond qui agitent la société française dans sa relation avec l’Islam? Présent très régulièrement dans les cantines pour former les équipes de cuisine à la préparation de repas alternatifs (végétariens), j’en doute. Il faut pouvoir donner le sens et le temps nécessaire pour implanter une telle mutation avant de la généraliser.

Quel sens ?
C’est en effet sur le terrain de la qualité alimentaire et de l’éducation pour tous qu’il faut aller plutôt que sur celui des questions communautaires. Car la nécessité de revoir la place de la viande dans nos modèles alimentaires, d’en manger moins mais issue de systèmes durables est un impératif incontournable. Il concerne l’ensemble de nos sociétés, et pas seulement les végétariens ou les musulmans ! Ce message est omniprésent dans les prospectives pour l’alimentation durable, tout comme dans les allées de l’exposition universelle de Milan. Il sera répété lors de la COP 21, la grande conférence climat prévue en décembre à Paris : il faut désormais réduire nettement nos consommations de protéines animales. C’est aussi pour cela que l’ONU fait de 2016 « l’année internationale des légumineuses », sources de protéines végétales, aliments très économiques et garants d’une agriculture durable.
Ce n’est pas l’aliment viande qui est en cause, mais les impasses des productions industrielles destinées à produire massivement une viande peu chère, peu qualitative et omniprésente (notamment dans les cantines), avec tous ses coûts cachés et ses dégâts collatéraux : éleveurs en détresse et qui ne s’en sortiront pas dans ces systèmes, pillage annoncé des ressources terrestres et marines, pratiques d’élevage et d’abattage indéfendables. Si l’on ajoute les questions de santé publique, de prévention des maladies cardio vasculaire, de l’obésité et du diabète, d’éducation sensorielle et nutritionnelle des jeunes… il n’y a que des bonnes raisons de proposer partout des repas alternatifs, comme l’a préconisé dès 1984 le service nutrition de l’institut Pasteur de Lille (1). En y trouvant un bénéfice par surcroît : élargir l’offre alimentaire avec des menus acceptables par toutes les communautés.
Les menus alternatifs constituent une offre « complémentaire » et non « substitutive », qui vise d’abord à améliorer la qualité des repas dans les cantines : ils doivent être connectés avec les démarches visant le renforcement de la cuisine « maison », l’éducation alimentaire, l’introduction des produits locaux et sous labels dont bio. Si, pour une gestion hâtive de la laïcité, l’évitement de la viande se concrétise par une fréquence multipliée de plats à base d’œufs et produits laitiers industriels, de préparations agro-alimentaires partiellement à base de poissons, ou d’un usage irréfléchi du soja, ce qui est déjà le cas dans certaines grandes villes, qui donc sera gagnant ? Au passage, on aura accentué maladroitement les antagonismes entre Occident et Islam, en y surimposant inutilement l’opposition classique entre « carné » et « végétarien ».
Le sens de cette orientation dans les cantines doit aussi être compris et partagé par les éleveurs comme un soutien à la mutation vers des pratiques durables, extensives et labellisées. Il faudra s’extirper du mythe de la viande quotidienne qui a contribué à sa dévalorisation : la viande doit rester un aliment noble et cher, accessible parce qu’alterné avec des protéines végétales très bon marché. C’est notre modèle alimentaire commun qui doit évoluer vers des schémas connus des alimentations populaires, tels que le régime méditerranéen.

Pourquoi faut-il du temps ?
La mise en place dans une collectivité d’une offre végétarienne qui plaise et soit comprise par tous ne va pas de soi. C’est un changement culturel majeur. Les cuisiniers/ères n’ont pas été formés à cuisiner, valoriser et assortir les protéines végétales, céréales et légumineuses associées à des légumes, ils ne connaissent pas, pour la plupart, la cuisine végétarienne. Ils peinent à considérer que ce qui d’habitude est défini comme « les garnitures », puisse s’assembler en un tout cohérent, rassasiant et plaisant. De leur côté, les convives n’ont pas été « formés » à manger ainsi, et les adultes comme les enfants sont sujets à la néophobie. Peu d’enfants mangent des lentilles à la maison : pourquoi les accepteraient-ils dans un contexte qui est rarement reconnu au sein de l’école comme un lieu d’éducation mais plutôt comme l’endroit où il faut manger vite ?
La viande reste, pour une grande majorité de la population, le repère central à partir duquel se construit, se perçoit et s’évalue le repas. Tous ont du mal à appréhender un univers uniquement défini par l’absence de viande, aliment habituellement central, sens usuel du mot « végétarien ». Les démarches consistent donc à élargir le répertoire et les pratiques culinaires, en intégrant progressivement les protéines végétales, sans rupture culturelle. La capacité de préparer des plats mixtes associant ces protéines végétales avec des grammages modérés de viande ou de poisson, en puisant dans les classiques des cuisines populaires régionales ou mondiales, est souvent une étape-clé pour proposer ensuite des plats végétariens satisfaisants, compris et mangés.
D’autre part, la mise en place de menus alternatifs susceptibles d’être pris régulièrement ou quotidiennement par une partie des enfants, fera inévitablement l’objet d’une remise en question des préconisations d’équilibre nutritionnel qui président à l’élaboration des menus scolaires en France. Ce cadre d’élaboration (2) prévoit en effet actuellement un maximum de 3 menus végétariens sur les 20 repas d’un plan alimentaire.

Si la généralisation dans les cantines de repas « alternatifs » et complémentaires est aussi une solution pour nourrir des enfants d’une culture différente, c’est d’abord un progrès qualitatif qui concerne tous les convives, leur santé, leur planète, leur avenir commun (3). Cette évolution est inscrite inévitablement dans la prochaine décennie, elle est prioritairement une affaire d’éducation pour tous : producteurs, familles, cuisiniers, personnels de service, convives. Mais évitons les effets très contre productifs d’une décision brusquée et irréfléchie, mal orientée, et qui sera inévitablement mal menée. Il est grandement préférable aujourd’hui de soutenir, d’observer et d’évaluer les collectivités qui s’engagent à expérimenter des menus alternatifs réguliers, à les accompagner, et à capitaliser des répertoires de savoir-faire et de plats qui pourront se généraliser demain.

Gilles Daveau, cuisinier-formateur en cuisine alternative auprès de la restauration collective, auteur du Manuel de cuisine alternative (Actes Sud 2014)
Restaurateur et traiteur bio de 1988 à 2010 en région nantaise, spécialiste de cuisine végétarienne, il forme des particuliers et professionnels depuis 28 ans. Consultant, formateur du réseau national Unplusbio, et partenaire des filières bio locales (réseau Fnab), il accompagne les collectivités pour l’introduction des produits de qualité et de proximité dans les cantines. Initiateur en 2013 d’une table ronde nationale sur l’évolution de la place de la viande dans notre modèle alimentaire, il est l’auteur du « Manuel de cuisine alternative » (Actes Sud) et co-auteur de l’ouvrage collectif « Savez-vous goûter… les légumes secs ? » (presses EHESP 2015). Il anime de nombreux cours et ateliers de cuisine en région nantaise. Plus d’infos sur www.gillesdaveau.com.


1 - Manger Autrement du Dr Jean-Michel Lecerf, Institut Pasteur de Lille 1984
2 - GEMRCN actualisé en août 2015
3 - A ce sujet vous pouvez découvrir et soutenir le Manifeste de l’association nationale Unplusbio Quand les cantines se rebellent


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