La culpabilité, voilà l’ennemie
La quasi-absence du climat dans le débat préalable à l'élection américaine et dans les commentaires qu’elle a suscité pose un vrai problème.
Évidemment les conséquences immédiates nous préoccupent vivement, sur les conflits en cours, sur les politiques économiques, sur la construction de l'Europe, sur la conception de la démocratie dans le monde, et donc chez nous. Elles nous font négliger sans doute d'autres aspects dont les effets seront plus lents à se manifester mais qui n'en sont pas moins considérables. Le retard que l'on peut craindre sur les mesures climatiques nous coûtera beaucoup plus cher que les autres questions évoquées ci-dessus. Selon France Info « les actions des groupes spécialisés dans les énergies renouvelables ont dégringolé ce matin [du 6 novembre] à l'ouverture de la Bourse de New York, plombées par la victoire de Donald Trump, alors que les majors pétrolières ont bondi ».
Les experts du climat nous ont alertés sur l'importance de cette décennie. Les objectifs fixés pour la lutte contre l’effet de serre le sont pour 2050, mais l'étape 2030 est déterminante pour espérer des atteindre. 4 ans de pouvoir climato-sceptique, si ce n'est climato-négationniste, vous imaginez le danger que le choix des Américains fait courir à toute la planète. Ajoutons que la nouvelle administration américaine, en phase avec la Russie et la Chine sur ce point, pousse à une augmentation massive des crédits pour l'armement, bien plus qu'il ne faudrait pour réussir la transition écologique et d'une manière générale pour atteindre les objectifs du développement durable proposés par l'ONU.
Comment en est-on arrivé là ? Quelle leçon peut-on tirer pour éviter qu'une telle situation se prolonge ? Le succès de Donald Trump est un mystère pour beaucoup compte tenu de sa vulgarité, voire de sa brutalité. L'explication vient peut-être de sa posture décomplexée et provocatrice qui a permis une sorte de libération des esprits. Les Américains - et ils ne sont pas les seuls – se sont comportés en prédateurs comme beaucoup de pays industrialisés, à commencer par la conquête de l’Ouest. Leur puissance économique et militaire les a positionnés comme des maîtres du monde, et par suite comme les responsables de sa dégradation. « Honte à vous » leur lançait Greta Thunberg. Le wokisme dont l'objet est de nous réveiller sur une série de turpitudes passées ou présentes, a fait naître un sentiment de culpabilité insupportable pour beaucoup, qui se sont alors réfugiés dans le monde de Donald Trump. Une adhésion aveugle à ses discours désinhibés en a été la conséquence. La victoire de Donald Trump est celle du rejet les accusations de sexisme, de pillage de la planète, de mépris des peuples du Sud, et de bien d'autres mauvais comportements. La culpabilité et un sentiment bien dur à supporter, elle crée une sorte de pression intérieure, et la moindre soupape est bienvenue qui permet de la faire retomber.
Retour aux vraies valeurs, celle d'hier, où le monde était encore infini, où aucune autre grande puissance potentielle n'était parvenue à émerger. Et pour les limites du monde, voilà Elon Musk qui propose la conquête de l'espace, après celle de l'ouest, grande page de l'histoire américaine. Le rêve est de retour face à des perspectives de rigueur, de remise en cause de vieilles certitudes, et il permet de conjurer la culpabilité. La morale, oui, mais individuelle, l’affaire de chacun, comme avant, une morale qui ne compromet pas notre mode de vie, que chacun sait « non négociable », et qui ne nous met pas en face notre empreinte écologique, de nos responsabilités collectives.
L’approche morale de l’accaparement des ressources et des inégalités, que ce soit en Amérique ou entre les peuples de la planète, provoque le déni, le refus de voir la réalité en face. La culpabilité voilà l’ennemie. Ce n’est pas en allant « contre » que le changement arrive, mais en proposant une autre voie, également attractive et fondée sur des valeurs positives de dépassement de soi, de grandeur, mais pas la même que celle qui traduirait la domination des humains sur la nature et d’une partie de l’humanité sur les autres. Un autre rêve américain, ou tout simplement humain.
Edito du 13 novembre 2024
- Vues : 127
Ajouter un Commentaire