L’agilité du mental
Qu’il est difficile de changer de mode de penser ! L’économiste John M. Keynes nous l’avait bien dit. « Le plus difficile n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ». Une formule toujours d’actualité. Nous avons toujours tendance à raisonner sur le futur avec les références du passé. Un manque d’agilité mentale qui nous coûte cher, qui nous empêche d’anticiper, et provoque une fragilité dans un monde qui bouge vite.
L’impression qui en résulte est le déclassement de notre pays, voire de notre culture. Nous ne maitrisons plus notre avenir, nous nous sentons dépassés par des pays plus réactifs. La conséquence est un orgueil blessé, et une certaine animosité à l’égard des nouveaux venus, tenus hier pour des sous-développés auxquels nous avons apporté la civilisation, et qui se révèlent bien ingrats. La faute, c’est toujours les autres.
Le crédo implicite qui régit notre système de pensée est de considérer l’avenir comme un simple prolongement du passé. Les lois de l’économie, des relations internationales, de la vie sociale et du « vivre ensemble » sont le fruit de l’observation des évènements et des modes de vie d’hier. Des références datées, et souvent bien vieilles, que nous considérons souvent universelles et éternelles. C’est le cas pour certaines d’entre elles, mais beaucoup sont aujourd’hui obsolètes, le monde a bien changé. Les raisons en sont multiples, certaines prévisibles, d’autres non.
Le vieillissement de la population. Conséquence mécanique de la stabilisation de la population mondiale, avec ses répercussions sur notre propre pyramide des âges et les migrations internationales. Un phénomène dont les moteurs sont bien connus, et les effets prévisibles, malgré quelques incertitudes sur le calendrier.
De même, la montée en puissance de grands pays, qui aspirent légitimement à une bonne place dans le concert des nations, tant au plan économique que diplomatique ou culturel, notamment linguistique. Un nouvel équilibre s’établit inévitablement, et chacun des « vieux pays » doit s’y inscrire sur des bases renouvelées. Avec 1% de la population mondiale, comment la France peut-elle continuer à assumer une position de « grande puissance » ?
La finitude du monde, annoncée notamment par Paul Valéry dès 1930, mais déjà bien identifiée dans des cultures anciennes, a encore du mal à s’imposer à nos esprits. Certains tentent d’y échapper en pariant sur la conquête spatiale, le mot « conquête » exprimant sans vergogne la volonté de coloniser de nouveaux territoires pour y prélever leurs ressources.
D’autres phénomènes étaient moins prévisibles, comme l’avènement du numérique. La loi de Moore sur la capacité de calcul des ordinateurs ne date que de 1965, revue en 1975. Les effets extraordinaires de la numérisation ont transformé le monde dans tous les domaines, production, recherche, information, culture, communication, etc. Comment profiter de ces progrès, sans régresser dans d’autres domaines, comme la consommation de ressources qu’ils exigent, ou la protection de la vie privée ?
La lucidité et une gouvernance prospective sont les clés du changement de mode de penser que les évènements prévisibles devraient provoquer. Nous en sommes apparemment bien loin, le court terme exerce toujours sa dictature, malgré les alertes de plus en plus nombreuses. Ces vertus ne naissent pas spontanément dans la société. Elles demandent de la confiance et une culture du dialogue, qui ne prennent corps que dans la durée. Nos institutions fondées sur le conflit entre majorité et opposition et l’autorité de l’Etat n’y sont guère adaptées.
C’est dans les domaines plus imprévisibles, qui évoluent très rapidement, il convient de développer d’autres vertus, celle de l’apprentissage collectif. Dans leur ouvrage « Une nouvelle société de la connaissance (1) », Joseph E. Stiglitz et Bruce C. Greenwald proposent de renforcer une qualité particulière pour se préparer aux imprévus : la « capacité d’apprendre et d’apprendre à apprendre », qui conditionnerait l’avenir de chaque pays : « un pays dont la capacité d’apprendre est inférieure à celle de ses concurrents sera distancé dans la course ». A bon entendeur, salut !
1 - Une nouvelle société de la connaissance, Joseph E. Stiglitz et Bruce C. Greenwald, aux éditions Les liens qui libèrent, novembre 2017
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