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Le dictionnaire du développement durable pour tous | dominique bidou dbdd

« Nous ne croyons pas ce que nous savons » (1)

Le vraisemblable est souvent préféré au vrai. Le vraisemblable, c’est ce que nous avons déjà vu, ce qui est dans nos têtes, et que nous recherchons dans la vraie vie.

L’innovation, les changements de cap, ont ainsi bien du mal à se faire reconnaître, et même acceptés. Ils ne figurent pas dans notre univers mental, constitué à partir du passé pour l’essentiel. Les spécialistes de l’innovation le savent bien, nombreuses sont les inventions qui sont restées lettre morte tant que la société n’était pas prête à les accueillir. L’exemple de la machine à vapeur est fréquemment cité.

Les innovations technologiques se situent souvent dans le prolongement de techniques courantes, juste améliorées. Certaines, au contraire, constituent une rupture. Elles utilisent d’autres propriétés physiques ou chimiques des éléments, elles s’inspirent et transposent des méthodes développées dans d’autres secteurs, elles proviennent de pays où des cultures traditionnelles ont permis des avancées spécifiques. Les voies de l’innovation sont diverses. « Ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité ». Les pompes à chaleur, par exemple, utilisent d’autres lois physiques pour chauffer que l’effet Joule des anciens chauffages électriques.

Prenons le cas de l’agriculture. Elle n’échappe pas à cette forme de résistance au progrès. L’idée y est bien incrustée que le respect de l’environnement provoque une baisse de la production. C’est un sacrifice qui est demandé au producteur, mais aussi au consommateur qui doit payer plus cher ses légumes. De même, la présence de haies réduit les rendements à l’hectare. Elles consomment de la surface potentiellement agricole, et affectent leurs alentours en faisant concurrence aux cultures, par l’accès à l’eau et à la lumière notamment.

De nombreuses études cassent, aujourd’hui, ces idées reçues. En adoptant des pratiques intégrant les lois de la nature, il est possible d’augmenter la production. Affecter à la nature une part de surface cultivée, pour des haies, des bosquets, des mares ou autres zones humides, peut être une bonne affaire pour l’agriculteur, comme pour la collectivité. L’avenir n’est pas dans le prolongement des techniques d’hier, même améliorées, mais source de problèmes qui ne feront que croître (érosion, maladies, etc.) et de dépendance des agriculteurs à leurs fournisseurs. Le modèle dominant aujourd’hui doit laisser la place à de nouvelles pratiques, bien maîtrisées, mais qui nécessitent un accompagnement dans la phase de transition (2)
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Cette vérité est malgré tout contre-intuitive, et va à l’encontre d’une approche linéaire, où la surface est la variable principale. C’est le système cultural qui doit être pris en compte, avec de nombreuses interactions. Lors du « grand bond en avant » dans la Chine de Mao, la lutte contre les nuisibles avait provoqué des famines. Les oiseaux ont été accusés de manger du grain, il a fallu les éliminer, ce qui a provoqué une prolifération d’insectes qui ont détruit les récoltes. Le « bon sens » brut, même paysan, peut être trompeur. Productivité et écologie peuvent aller de pair, mais le message est peu audible par les paysans en difficulté, qui espèrent améliorer leurs revenus sans avoir à changer de modèle.

Nous savons quelle orientation prendre, mais nous n’y croyons pas. Il y a bien sûr l’influence des lobbys, mais aussi une forte inertie des institutions, et le refus de changer de mode de pensée. Ce n’est pas une fatalité. Dans son champ d’activité, la CCIP a su lancer le débat auprès de ses adhérents, les invitant à introduire la sobriété dans leur modèle d’affaires (3). Il est urgent qu’une démarche analogue soit lancée pour l’agriculture.

1 - Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2008.
2  - On pourra notamment sur ce point consulter le rapport « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste » du Haut Conseil pour le Climat du 25 janvier 2024, www.hautconseilclimat.fr ou le scénario « TenYears For Agroecology in Europe » Une Europe agroécologique en 2050 : un scénario crédible, un débat à approfondir, 17 septembre 2018, www.iddri.org
3  - La sobriété au cœur des modèles d’affaires de demain, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, juin 2023, www.cci-paris-idf.fr

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