Rapidité
Les temps modernes sont caractérisés par la rapidité. Nous sommes pressés, time is money, des fortunes changent de main en une fraction de seconde, nous n’avons plus le temps. Est-ce durable ?
La rapidité est souvent considérée comme une qualité, et elle l’est assurément quand il s’agit de réactivité, ou de capacité à assurer des services en un minimum de temps. Elle peut aussi avoir des défauts, surtout si elle devient un impératif qui s’imposerait aveuglément. Le mouvement « slow », slow cities, slow food, etc. est là pour nous le rappeler. La lenteur a du bon, elle aussi.
La rapidité permet d’aller plus loin. Excellente chose, s’il s’agit d’explorer de nouveaux horizons, d’élargir ses contacts, d’ouvrir le champ du possible. Mais elle permet aussi d’accroître des distances parcourues chaque jour. Les déplacements domicile-travail, qui consomment des heures de vie, se sont allongés en kilomètres, et ont transformé nos paysages, nos modes de vie. L’étalement urbain est fils de la rapidité, et avec lui une forme de ségrégation spatiale. Effets pervers de la rapidité, qui peuvent être réduits par d’autres politiques, encore faut-il le prévoir.
L’avion. Haro sur l’avion, qui contribue exagérément à l’effet de serre. Pauvre avion, dont les formes modernes ne consomment pas plus de pétrole au kilomètre parcouru par passager que la voiture. L’impact écologique d’un aéroport n’est sans doute pas plus lourd que celui des routes et des voies ferrées qui, outre l’espace qu’elles occupent, fragmentent le territoire. Mais la rapidité de l’avion permet d’aller loin, très loin, dans un court laps de temps. Grâce à l’avion, un week-end au soleil devient facile, et la tentation est évidemment forte. En ouvrant le champ du possible, l’avion permet d’être déraisonnable. Tous les possibles ne sont pas bons à prendre.
Changeons d’échelle. Le monde moderne est caractérisé par le changement permanent, et la rapidité de ce changement. Autrefois, les villes se sont constituées au fil des années, voire des siècles. Une progression lente, qui a permis des ajustements au fur et à mesure de l’extension des villes, et de maintenir un équilibre entre les centres urbains et leur hinterland. Aujourd’hui, il faut faire vite. L’exode rural et les besoins de main d’œuvre de l’industrie a gonflé les villes dans notre pays, et il continue de le faire dans bien d’autres. Ce sont des villes « champignon », des banlieues tentaculaires, sans parler des bidonvilles. Ce sont aussi de nouvelles stations touristiques, dont l’installation et le développement rapides bouleverse les équilibres locaux, tant écologiques que sociaux, sans donner le temps de l’adaptation. Les territoires en on fait l’amère expérience, les villes qui ne contrôlent plus leurs extensions et les campagnes qui se sont vidées en l’espace de deux ou trois générations.
L’adaptation et la rapidité ne font pas bon ménage. Le changement climatique est, là encore, au cœur du problème. Sa rapidité surprend et, à défaut de pouvoir l’enrayer, il va falloir s’adapter. Les activités humaines et la nature sont concernées.
Les espèces les plus mobiles vont remonter vers le Nord ou vont prendre de l’altitude. C’est vrai des animaux ou des végétaux, mais leur capacité à se déplacer ne sont pas les mêmes, et certaines espèces vont souffrir du changement, voire disparaître. L’époque des grandes glaciations et des réchauffements intermédiaires avait provoqué des migrations importantes, mais les milliers d’années des périodes de transition avaient permis à la nature de suivre le mouvement. Dans la mer, l’élévation de température de l’eau provoque aussi des déplacements de populations, mammifères, poissons, algues, méduses, etc. mais les plus sédentaires, comme les coraux, sont directement menacés.
Les activités dites économiques sont aussi impactées, et des situations que l’on pensait immuables sont touchées. On parle de vignobles, avec le champagne qui migre vers l’Angleterre, pour prendre un exemple frappant. C’est aussi le tourisme, avec le manque de neige dans les stations de sports d’hiver. D’une manière plus générale, la montée du niveau de la mer affecte des milliards de personnes et leurs activités, notamment agricoles. On aimerait bien que ça soit moins rapide !
La rapidité est donc à double tranchant. Elle permet de multiplier les échanges et les confrontations, de faire plus de choses en moins de temps, et peut-être de donner ainsi plus d’intensité à sa vie (à moins que ce ne soit qu’une illusion). Elle permet aussi une fuite en avant, une recherche désespérée de dépaysement au prix d’une consommation sans limites des ressources de la planète. Comme la langue d’Esope, la meilleure et la pire des choses
Photo : Murillo de Paula - Unsplash.
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