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Voyages mobilité

Quatre-vingt

Il ne s’agit pas ici des 80 chasseurs invités par la marquise, mais de la limite de vitesse à 80km/h. Une décision qui fait débat, et qui serait un des points départ du mouvement des gilets jaunes. Un intéressant sujet de développement durable, où se retrouvent mode de vie, aménagement du territoire, énergie, pouvoir d’achat, comportements, modèles culturels, etc. Comment tenir compte de toutes les composantes du problème ?

Nous le savons tous, la vitesse sur la route augmente le risque d’accident, et plus on roule vite, plus les accidents sont graves. Ce sont les lois de la physique, des réflexes humains, de la vie en quelque sorte. Il y a bien sûr d’autres paramètres, alcool, état des routes, entretien de la voiture, etc. mais dans tous les cas la vitesse joue un rôle. 10km/h de moins, c’est évidemment moins de morts sur les routes, même si les chiffres demandent du temps à être confirmés, selon le volume de trafic, les conditions météo, l’évolution du parc automobile.  Ajoutons que 10km/h de moins, c’est aussi une économie d’énergie et donc d’argent. Au total, c’est donc moins d’accidents, moins de morts et de blessés graves, moins de consommation, moins de pollution locale, moins d’effet de serre, plus de pouvoir d’achat, pour un peut plus de temps passé dans sa voiture. Le prix à payer pour quelques minutes est-il trop élevé ?
La plupart des trajets sur les routes secondaires sont courts, quelques dizaines de kilomètres, dont une partie dans des villages ou routes sinueuses où la vitesse est limitée par la configuration des lieux ou des habitations à protéger. Rappelons-le, les limitations de vitesse ne concernent pas que les automobilistes, mais aussi les riverains. Sur une trentaine de kilomètres à parcourir, l’écart est inférieur à 2 minutes dans la grande majorité des cas.
Le problème n’est donc pas la pertinence de la mesure, mais son applicabilité. Pourquoi tant de difficulté, tant de colère et de ressentiment ? Il est vrai que nous vivons une époque marquée du signe de la vitesse. Celle-ci est devenue une valeur en soi, « time is money », le stress du retard nous tourmente, pour aller au travail ou pour aller chercher les enfants. La vitesse a provoqué un éloignement des zones d’habitat de celles d’emploi, et la généralisation de la voiture a permis d’offrir des logements moins chers mais loin de tout.  Les voitures sont de plus en plus puissantes et même les plus modestes vont de plus en plus vite. Nous voulons maîtriser le temps qui passe, et toute entrave à la vitesse est mal perçue.
Après une baisse impressionnante de tués sur les routes, de 18 000 à 3 500 entre 1972 et 2013, le compteur semble bloqué. Comment descendre encore au-dessous du palier des 3 500, et éviter toute remontée ? Une rechute est toujours possible, et ces derniers mois nous ne rappellent. Les ¾ des radars ont été neutralisés depuis novembre dernier, et la réaction a été immédiate : la vitesse moyenne des automobilistes a augmenté. Espérons que le nombre de victimes de suivra pas, mais il est permis de le craindre. Cette hausse de la vitesse est le signe du défaut d’adhésion à la mesure. Les automobilistes ne semblent pas convaincus de son bienfondé. Le discours politique ou administratif, pour ne pas dire technocratique, n’est pas passé. Les radars, installés pour faire respecter les limites de vitesse, sont perçus comme des « pompes à phinances » et les automobilistes se plaignent d’être des « vaches à lait » pressurables à merci.
Il faut le reconnaître, la politique de sécurité routière s’est appuyée essentiellement sur la peur du gendarme, bien plus que sur un changement de culture de l’automobiliste. L’animation de cette politique interministérielle est d’ailleurs passée du ministère en charge des transports à celui en charge de la police. La peur du PV comme message de sagesse, ça marche, les résultats sont là. Il semble bien que cette politique ait donné tout ce qu’elle pouvait, et qu’elle ait atteint ses limites. Il faut passer de la peur à l’adhésion, et les réactions aux 80 km/h montrent qu’il y a du chemin à parcourir !
Le discours souvent entendu, et qui semble emporter un large assentiment, est qu’il faut placer l’humain au cœur des politiques. Partir de ses envies, de ses besoins, de ses phobies, de ses comportements spontanés, pour aller vers les objectifs recherchés. Le chemin inverse, partir des objectifs pour les imposer, souvent mal compris, ne fonctionne pas, ou alors à grand renfort d’interventions publiques. C’est donc de l’humain que doit repartir la sécurité routière, pour « faire avec le plus possible » comme le dit de paysagiste Gilles Clément. Diffuser une nouvelle culture de la voiture et de la mobilité, en donnant d’autres objets de fierté que la puissance et la vitesse, voire le « broum broum ». La lenteur a ses partisans, mais ils sont bien méritants, et il va falloir trouver d’autres avantages à valoriser, comme le plaisir d’occuper agréablement le temps de déplacement. La voiture autonome sera peut-être l’occasion de jouer cette carte.
Cette réflexion, inspirée de la sécurité routière et de l’affaire des 80 km/h, peut aisément se décliner dans d’autres domaines, où le recours au contrôle et à la contrainte est une tentation courante. Les comportements changent vite, dans notre société, comme on l’observe par exemple pour le passage à l’économie de fonctionnalité, où l’usage d’un objet prime sur sa possession, qui progresse bien si l’on en croit le succès des voitures, vélos, et autres patinettes en libre-service. C’est une approche d’ordre culturel qui fera que nous produirons et consommerons autrement, chacun à notre manière, et non par une approche directive. Les pouvoirs publics sont désargentés, nous dit-on. Ça tombe bien, ces politiques d’influence sur les comportements coûtent beaucoup moins cher que les interventions massives avec obligations, contrôles et sanctions, ou que les programmes de grands travaux pilotés par l’Etat.
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