Recoin
L’espace est un bien rare dans les villes. Pourtant de nombreux recoins, véritables délaissés urbains, restent sans affectation et dégénèrent. Peut-on imaginer des recoins durables ?
Il y en a partout. Au hasard des rues, vous trouvez des recoins hérités du passé. Des règles d’urbanisme changeantes, comme les règles d’alignement, des choix anciens de propriétaires sur l’implantation de leur immeuble, des restes d’expropriations et des délaissés, etc.
Et nous voilà bien embarrassés, avec ces recoins qui finissent mal, en décharges ou en toilettes publiques. Que faire de ces recoins, répartis un peu partout dans la ville, avec leur cortège de nuisances dont les riverains se plaignent à juste titre, et dont les services municipaux se passeraient bien.
Parallèlement, l’espace est un bien rare, surtout dans les villes denses. On en cherche toujours, pour de multiples raisons.
Ici, ce sera pour implanter un mobilier urbain. Le concept de « jardin de poche », qui nous vient de nos amis suisses et américains, est l’illustration d’une approche ambitieuse de cette volonté d’installer des aménités pour habitués et promeneurs de passage. C’est une sorte de petit salon en plein air, conçu et partagé entre voisins, et ouvert à tous ceux qui ressentent le besoin de se poser un instant dans la ville. Plus simple, la pose de bancs offre aux personnes âgées une halte bienvenue pour se refaire des forces au cours de la promenade quotidienne, et se donner rendez-vous avec des amis. Des lieux de rencontre, mini jardins publics, conçus avec les habitants pour répondre à leurs envies, du jeu d’échecs au tas de sable.
Là, ce sera un recoin pour la biodiversité. Une aire végétalisée, un arbre dont le développement sera adapté au volume disponible, un sol libre pour installer une plante grimpante et recouvrir un mur de verdure. Un triple dividende peut être visé, un élément de « pas japonais » dans une « trame verte » pour la biodiversité, une touche de couleur dans un paysage urbain à requalifier, et même un peu de fraîcheur grâce à l’évapotranspiration au moment des fortes chaleurs. Voilà des recoins bien agréables.
Plus loin, les deux roues trouveront un lieu de parking. Avec ou sans moteur, ils se multiplient comme des lapins, et on ne trouve pas de place où les mettre. Le moindre parking à vélo est saturé, et c’est bien pire pour les motos. Pourquoi ne pas dédier les recoins qui s’y prêtent, à l’écart des passages effectifs de piétons, pour y installer des dispositifs à vélo, ou peindre au sol des emplacements autorisés pour les deux roues motorisés ? Cela évitera de voir les trottoirs encombrés là où il y a du monde.
Et puis il y a la solution conforme à l’observation sur le terrain. Ces recoins deviennent des décharges ? Faisons-en des lieux de dépôt de déchets, mais organisés, avec des bacs de tri. Ce sont des toilettes publiques ? Installons-y des toilettes, mais des vraies, propres et bien entretenues. Ou encore, des toilettes pour chiens, « espaces canins », pour préserver les rues avoisinantes. Il faut pour cela que les lieux s’y prêtent, volume disponible, accessibilité, emplacements de réseaux, mais mieux vaut « faire avec » quand cela est possible.
On le voit, les recoins peuvent perdre leur statut de délaissés pour trouver un véritable usage. Dans tous les cas, l’écoute des voisins sera déterminante. Tout d’abord, pour faire le bon choix, et aménager les lieux de la bonne manière, et ensuite parce qu’il faut prendre en compte la vie après les travaux. En particulier s’il est prévu des plantations, pourquoi ne pas en confier l’entretien à des riverains, comme il se fait aujourd’hui pour les pieds d’arbres en ville ? Les recoins doivent devenir des occasions de rencontre et de vie sociale. Ils peuvent se situer à mi-chemin entre l’espace public et l’espace privé, offrir une note de fantaisie dans un univers trop uniforme.
L’espace public est une ressource clé dans l’aménagement des villes. Son aménagement, la fonction qui lui est attribuée, la manière dont il est vécu, l’investissement affectif que les riverains et autres voisins peuvent faire à son sujet, les usages spontanés dont il est le siège, tout cela peut contribuer à lui donner du sens, et participer ainsi à la qualité de vie. Les recoins bien « recyclés », réintroduits dans les circuits « naturels », participent ainsi à l’intensité de la ville, à sa richesse, au plaisir d’y habiter. Une chance à ne pas laisser passer.
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