Marche
La marche à pied a toutes les qualités : bonne pour les marcheurs, et bonne pour l’environnement. Comment la développer au quotidien, dans les villes, pour en tirer ce double dividende ?
La marche passe par des hauts et des bas. L’expression « marche ou crève » nous rappelle le bas, mais le message dominant aujourd’hui est plutôt positif, en référence à notre santé.
Il faut marcher pour bien se porter. C’est aussi un moyen bien commode de locomotion. Le moyen le plus ancien, le plus répandu, et encore le passage obligé entre d’autres moyens de transports. C’est en quelque sorte un droit fondamental, le droit de se déplacer en marchant, sans rien demander à personne.
Ce n’est pas toujours si facile. Les trottoirs sont encombrés, les voitures ne respectent guère les piétons, encore moins les deux roues, motorisées ou non, des chantiers obligent parfois à de grands détours, etc. Les obstacles à la marche sont nombreux, sans parler des enfants et de la sécurité de leurs déplacements, et des personnes handicapées par leur âge ou toute autre déficience physique, ou encore des paquets ou des poussettes.
La marche ne marche pas toute seule, si vous voulez bien excuser ce jeu de mot un peu facile. Pour qu’elle se développe, deux conditions au moins sont à remplir : que les espaces publics soient avenants pour les piétons, et que de plus en plus d’habitants des villes et des campagnes aient envie de marcher. Laissons tomber, pour cette note, la marche loisir, pour nous concentrer sur la marche de tous les jours, qui représentent un enjeu bien plus important, en termes de volume. La moitié des déplacements en ville se font à pied, par petits bouts, qui, ajoutés les uns aux autres, font de grandes distances. Un volume qui pourrait encore grossir si certaines habitudes changeaient : une petite moitié des déplacements en voiture font moins de 2km, et 12% moins de 500mètres. Moins de 5 minutes à pied ! Basculer ces déplacements sur la marche aurait de nombreux avantages, sur la santé notamment puisqu’un peu d’exercice est toujours bon à prendre, et qu’il y aurait moins de pollution dans l’air. Ces petits trajets ne laissent pas aux moteurs le temps de chauffer, et ils fonctionnent dans les plus mauvaises conditions, forte consommation et maximum de rejets dans l’atmosphère.
Les transports en commun sont également concernés. Certaines lignes, ou tronçons de ligne, sont saturés, à certaines heures au moins. Dans les agglomérations françaises, 1 personne sur 5 prend les transports en commun pour une ou deux stations. Si vous ajoutez le temps moyen d’attente au temps du trajet, vous vous apercevez que vous ne gagnez pas une minute en prenant le bus. Ces trajets, souvent au cœur des villes sont en outre bondés aux heures de pointe où les bus sont ralentis par la circulation. Si une partie des usagers, ne serait-ce que un sur 10, ceux justement qui ne le prennent que pour une ou deux stations, allaient à pied, quel soulagement pour les autres, quel confort !
Il en résulte deux orientations contradictoires, mais complémentaires.
Tout d’abord, suggérer aux usagers des autobus et des tramways d’éviter de les emprunter pour de petits trajets, surtout aux heures de pointe. C’est ce qui se fait à Bordeaux Métropole, où plus d’un quart des voyageurs entre les stations Hôtel de Ville et Mériadeck, distantes de 700 mètres, ne montent dans le tram que pour ce trajet, souvent en correspondance. L’enjeu est à la fois de désaturer la ligne pour le bonheur des voyageurs, et d’offrir un gain de temps pour ceux qui feront le parcours à pied. Il faut aussi que ces derniers y trouvent du plaisir. Nous sommes dans un quartier accueillant, et les parcours peuvent facilement devenir plus attractifs à condition de supprimer les obstacles et de multiplier les repères pour les rendre familiers. Après une analyse fine du territoire et du mode de fonctionnement des tramways, une campagne de sensibilisation propose aux bordelais de passer à la marche, pour ces petits parcours. Les résultats de cette opération, dite « Marche à suivre (1) » sont encore incertains, mais la démarche illustre bien la réflexion nécessaire sur le bon partage entre la marche et les transports en commun.
La deuxième observation est plus classique. Comment réduire la part de la voiture au profit des transports en commun, lesquels s’accompagnent toujours d’un peu de marche entre la station et la destination. De nombreuses villes ont pris conscience de l’enjeu, en indiquant par exemple les lieux que l’on peut atteindre à pied en 5 ou 10 minutes à partir d’une station. Paris expérimente aujourd’hui un affichage « isochrone », où chacun peut voir le rayon d’action correspondant à 5 ou 10 minutes de marche.
La réhabilitation de la marche en ville exige une réflexion sur l’espace offert aux piétons et son mode de fonctionnement. Le paysage y joue un rôle central. Il apporte des repères qui balisent les parcours, et informe le marcheur de son rythme. Doit-il forcer le pas, ou au contraire peut-il prendre tout son temps ? Les commodités sur les trajets, comme des bancs, fort utiles pour les personnes âgées notamment, la qualité du revêtement, la présence de commerces, d’ombrages, de terrasses de café, tous ces éléments tendent à qualifier les parcours que vont suivre les marcheurs potentiels. La part des piétons ne peut être celle qui reste après avoir satisfait les besoins des voitures et des transports en commun. L’ethnologue Jean Malaurie évoque dans son ouvrage « L’allée des baleines » un « code mental de l’espace » dont seraient dotés les habitants du grand Nord. Ne faudrait-il pas réveiller le code mental de l’espace des habitants des villes, enfoui au fond de leur subconscient ?
De nombreux piétons étaient des « captifs » de la marche. Ils n’avaient pas le choix, la possession d’une voiture ou l’usage d’un vélo leur étant inaccessibles, pour diverses raisons. Le monde change, et la marche devient un choix à faire parmi plusieurs modes de déplacement. Favoriser la marche ne peut être une politique résiduelle, par défaut. C’est la conception de la ville et des espaces publics qui est en première ligne, accompagnée d’une approche culturelle : le hard et le soft, les deux ensemble, indissociables.
1 - Dont on trouvera la présentation sur http://www.bruit.fr/images/stories/pdf/dunkerque-2015/malek-delafosse.pdf
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