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Ville et Campagne

Lenteur

lenteurFace à la tyrannie de la vitesse, le résistance s'installe. La lenteur prend ses quartiers dans les villes, dans la bouffe, et bien d'autres domaines de notre vie.

Depuis quelques mois, il y a une ville lente en France, Segonzac, en pays de Cognac. La première. Un mouvement lancé il y a une dizaine d’années en Italie

. La Qualité de vie avant tout. L’abbaye de Thélème est de retour, sans cloche ni horloge. Bienvenue à Rabelais et ses émules du 21e siècle. Avec un petit air de Fahrenheit 451.

C’est que la révolte gronde. La révolte contre la vitesse, contre l’urgence, contre des rythmes de vie toujours plus exigeants. Le Temps réel, le juste à temps, voilà les ennemis, ceux qui nous asservissent insidieusement. La résistance a commencé avec le slow food, en 1986, déjà en Italie. Il ne s’agit pas seulement de prendre le temps de manger : c’est toute la chaine de la qualité de la nourriture qui est en jeu, de la production agricole aux arts de la table. La Dynamique s’est amplifiée, le mouvement est devenu international, le virus progresse. La contagion s’est étendue aux villes. 1999, création de « cittaslow ». En 2010, ce sont 140 villes (150 fin 2011, appartenant à 25 pays), moyennes pour l’essentiel, quelques milliers ou dizaines de milliers d’habitants, de 20 pays différents, qui adhèrent au réseau.

Il ne s’agit pas que de la lenteur, des circulations douces, à pied, à cheval et à Vélo. C’est toute l’économie de la cité qui est concernée. Le manifeste « cittaslow » comporte 70 recommandations, sur l’énergie, l’urbanisme, l’agriculture, le transport, le commerce, et bien d’autres choses encore. On ne construira que des terrains proches du centre déclare la maire de Segonzac à la presse. La lenteur et l’urbanisme sont indiscutablement liés.
C’est une nouvelle vision de la ville, à commencer par sa taille, qui se forge progressivement. Une réponse au gigantisme et au culte, non seulement de la vitesse, mais du « Toujours plus grand ». Il pourrait s’agir d’une « poétique de la ville », selon le titre du premier ouvrage de Pierre Sansot(1), philosophe et théoricien de la lenteur, dont il nous incite à faire « bon usage (2) ». Une ville à la fois compacte et proche de la nature, privilégiant les relations humaines, économe et autonome, vivant et s’alimentant au rythme des saisons.  Cette vision est-elle utopique, quand on voit la croissance extraordinaire des conurbations de dix à vingt millions d’habitants, avec le credo qui l’accompagne, que cette évolution est inéluctable. Mieux, l’urbanisation massive serait l'avenir de l’humanité, et la réponse aux défis de la croissance démographique. La ville n’est pas un problème, c’est la solution a-t-on pu dire. Il suffit juste de préciser quelle ville, et quel genre de vie pourra s’y développer.
La lenteur tente de réagir partout. L’urbanisme  est en première ligne, mais pas seulement. Le sentiment d’une course vers nulle part, pour reprendre l’expression d’Hartmut Rosa, décourage bien des initiatives alors qu’il faudrait, au contraire, les favoriser pour relever les nombreux défis qui nous sont proposés. L’obsolescence accélérée des techniques semble emporter avec elle celle des personnes qui s’y étaient consacrées. Le sentiment de dévalorisation s’installe vite, dans ces conditions, et les efforts que chacun peut consentir apparaissent vains.
Et pourtant, l’accélération du progrès technique risque fort de ne pas s’arrêter demain, et la perspective des neuf milliards d’êtres humains sur la planète d’ici une quarantaine d’années nous condamne à des records d’innovation. Un premier champ d’innovation est assurément de faire le ménage, de se dégager des besoins artificiels, de favoriser une sobriété salvatrice. La ville lente est une parfaite illustration de cette logique. Mais nous savons bien que cela ne suffit pas. « Changer ou disparaître » nous disait Edward Goldsmith, dès 1972. Nous n’échapperons pas à une profonde mutation de nos sociétés, et la « lenteur » réside plutôt à maîtriser cette mutation, à en faire une opportunité, plutôt que de la subir. C’est tout le sens du développement durable. L’accélération mise en cause par Hartmut Rosa souffre de ne pas avoir de sens. C’est la machine qui s’emballe, et nous courrons derrière sans savoir pourquoi. Plus que la vitesse ou la lenteur, la question est du sens du progrès. C’est redonner du sens au temps qui passe, à celui que l’on sent filer entre nos doigts, et qui nous échappe.

1 - Poétique de la ville, Klincksieck, 1973. Réédition Petite Bibliothèque Payot, 2004
2 - Du bon usage de la lenteur, Payot, 1998.

 

Chronique reprise le 8 avril 2011 d'une note publiée dans le moniblog le 10 octobre 2010.


 

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