Densité
Parmi les fausses bonnes idées qui circulent, il y a celle de la hauteur des constructions pour obtenir de la densité de population. Le débat sur les tours à Paris illustre cette faute de raisonnement.
La terre est une ressource rare, il faut l’économiser. On lui demande tellement de services !
Elle doit nous nourrir, fournir de l’énergie, produire des matériaux et matières premières pour l’industrie, nous offrir des lieux d’agrément et des beaux paysages, absorber l’eau de pluie et en réguler le régime, concentrer autant de carbone possible pour lutter contre l’effet de serre, offrir le gîte et le couvert à la faune et à la flore sauvages, et bien d’autres services encore, notamment accueillir l’habitat humain et les villes.
La densité de population, voilà la solution ! Plus de monde à l’hectare, et tout le monde dans des villes, et des villes denses s’il vous plait ! Ce raisonnement peut se tenir si on sépare chacune des nombreuses fonctions énumérées ci-dessus. Il faudrait alors que la fonction « habitat humain » soit concentrée sur la plus petite surface possible, pour laisser de la place aux autres. Il en va tout autrement avec une logique de superposition des différentes fonctions, ou même de combinaisons. Peut-on obtenir des services de natures différentes sur le même terrain ? Il semble bien que ce soit une tendance qui se dégage actuellement. Le concept de ville nourricière, capable de produire une partie de ses besoins alimentaires, se développe, aussi bien dans les pays du Sud que ceux du Nord, dans des contextes très différents. Des projets futuristes parfois, avec l’autonomie alimentaire et énergétique en perspective. La ville peut aussi capter de l’énergie. En plus de ce qu’elle produit, comme ses déchets qui peuvent être transformés en énergie (incinération, fermentation), ou la biomasse de ses espaces publics, les surfaces bâties (murs et toits) de la ville peuvent devenir autant de capteur d’énergie solaire. Des éoliennes urbaines peuvent être installées sur les bâtiments. Des pompes à chaleur peuvent aller puiser de l’énergie dans des nappes souterraines. Les sous-sols peuvent stocker le froid ou le chaud, et assurer le volant nécessaire pour passer les périodes non productives.
Dans notre pays, le débat n’est pas si avancé. Il porte essentiellement sur les tours. Spécialement à Paris, nous allons densifier avec les tours, aux portes de la capitale. Est-ce une bonne idée ? Et surtout, le problème est-il bien posé ? Paris est déjà une des grandes capitales les plus denses au monde. Bien plus que New-York et même que Tokyo. Plus dense, il y a Dhaka, Manille et Le Caire, avec plus de 40 000 habitants au kilomètre carré(1), puis Calcutta (27 000), Shanghai (24 000) et Bombay (23 000), et ensuite Paris (21000). Les capitales occidentales sont loin derrière, comme Londres avec 4 500. Faut-il donc encore accroître la densité de Paris, ou bien celle du Grand Paris, d’un Paris élargi à la zone agglomérée qui l’entoure ? Si on compare non plus les villes sensu stricto mais les agglomérations, le paysage change complètement : Avec 990 habitants au km², Paris est dans la moyenne, 1130 à Londres, 1096 à New-York. Tokyo atteint 4550 hab/km².
La question de la densité de population est posée pour Paris à cause des tours. Il semble que ce soit l’envie de construire des tours qui ait amèné à invoquer le besoin de densification, et non l’inverse. L’UNESCO, par la voix du sous-directeur général pour la Culture, Francesco Bandarin(2), remarque que « Paris est une ville qui s'est établie au XIXe siècle comme une ville à six étages » ce qui lui a permis de parvenir à de hauts niveaux de densité. Faut-il aller au-delà ? « L'idée de densifier en hauteur, c'est une fausse idée. Une tour, parce qu'elle a besoin de beaucoup de services, de parkings, n'est pas plus dense qu'une ville compacte. Une tour c'est quand même une machine qui consomme beaucoup d'énergie: les ascenseurs, l'eau qu'on pompe: vous ouvrez un robinet au 180e étage et l'eau doit être pompée. Ce n'est pas un bon modèle. Ce n'est pas le futur ».
Ce serait plutôt en changeant d’échelle, en élargissant le périmètre de la capitale comme Londres, par exemple, a su le faire, que la quête de densité prend son sens. Le Grand Paris pourrait être une vraie réponse, et les tours, si besoin il y a d’en édifier, y apporterait le prestige et les signes de reconnaissance nécessaire pour apporter à la banlieue ses lettres de noblesse. C’est la diversité des activités et le statut ressenti de ces territoires, que l’on peut caractériser avec le mot « intensité », qui permet la densité.
La recherche de la densité doit s’adapter à chaque contexte. En zone rurale ou péri urbaine, et autour des petites villes, la construction en hauteur est souvent rejetée. Ce n’est pas le modèle auxquels les habitants aspirent. Peut-on aller vers la densité sans la hauteur ? Oui, à condition de le vouloir, et de ne pas laisser s’étaler les constructions nouvelles. Des opérations groupées, avec des terrains de taille limitée, répondent à cette préoccupation. On parle de « lotissement dense », ce qui n’empêche nullement la création d’espaces publics ou la diversité par la présence d’activités ou d’équipements publics. L’important est l’intégration de l’extension urbaine au reste de la ville ou du village, sa proximité, les facilités d’échange.
La hauteur présente parfois de réels avantages. Elle peut aussi créer un paysage, ou donner des signaux comme les beffrois et les clochers. Il est bon d’apporter du monumental dans la ville, mais en harmonie avec elle. Mais la recherche de la densité relève d’une autre logique, et se fait à une autre échelle. Créez de la diversité, de la qualité, de la beauté, en un mot de l’intensité, et la densité suivra.
1 Merci Wikipédia
2 Selon LeMoniteur.fr du 4 octobre 2013 Projets de tours à Paris: avis négatif de l’Unesco
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