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Travail et Emploi

Cerveau

Une croissance immatérielle, fondée sur l'intelligence et le savoir faire, sur la culture, pose la question de la formation, et des échanges culturels. La fuite des cerveaux, objet de nombreuses inquiétudes, est-elle si dangereuse que ça ?

Un tiers des diplômés de grandes écoles quitte la France à la fin de leurs études, apprend-on à la radio. Nos chères grandes écoles sont ainsi détournées de leur mission première, celle de fournir des cadre à la notre beau pays. C’est la fameuse fuite des cerveaux, une véritable catastrophe nationale, nous dit-on, il faut réagir !

A y regarder de plus près, cette nouvelle n’est peut-être pas si mauvaise que ça. N’est-ce pas en premier lieu un hommage des autres pays à notre système éducatif ? Il faudra s’inquiéter sérieusement le jour où nos jeunes diplômés ne seront plus demandés à l’étranger. Cette émigration est sans doute aussi le résultat de politiques d’échanges au sein de l’Europe, du type Erasmus. Il ne doit pas y avoir beaucoup d’écoles qui ne proposent pas à leurs élèves d’aller passer une ou deux années dans un pays de l’Union Européenne, d’Amérique ou d’Asie. Il est normal que ça donne des idées, que les difficultés culturelles ou linguistiques de compréhension soient aplanies, et que les frontières n’apparaissent plus aussi infranchissables qu’auparavant. Faut-il s’en plaindre ? Ce phénomène joue surement dans les deux sens, et il y a beaucoup de jeunes étrangers, d’Europe ou du reste du monde, qui s’installent en France, qui y trouvent un bon accueil et qui y rendent service. Quel est le bilan de ces échanges ? Espérons que ce flux ira grossissant, gage d’une meilleure qualité d’échanges entre les peuples à la surface de la planète, et on en a bien besoin pour relever les défis que l’on appelle globaux, comme l’effet de serre et l’appauvrissement des océans. Le développement durable et ces mouvements de cerveaux doivent faire bon ménage. Curieusement, ceux qui se plaignent des départs ne sont pas très prolixes sur les arrivées, alors que c’est cet équilibre qui est intéressant.

Les arrivées, on en parle surtout en provenance des pays du Sud, ou encore de l’Est. C’est là que nous allons puiser les ressources humaines qui nous font défaut. Ce n’est pas seulement parce que nos « élites » sont parties, c’est aussi parce que l’on n’a pas su les former, que l’on n’a pas investi suffisamment sur l’avenir et la formation. Le cas des médecins est à cet égard très éloquent. La crainte du surnombre a provoqué une politique malthusienne au mauvais sens du terme, et les prochains départs en retraite des babyboomeurs de l’après guerre n’ont pas vraiment été anticipés. Ce ne sont pas les sirènes de l’étranger qui sont coupables, mais notre incapacité à se projeter dans l’avenir. Nous allons donc faire appel aux médecins du Sud et de l’Est. Bon nombre d’étudiants africains, par exemple, s’installent en France à l’issue de leurs études, et quand il n’y en a pas assez, on cherche à attirer ceux de leurs pays. L’immigration choisie, à caractère économique, c’est comme ça que l’on appelle cet appel de cerveaux. Pas très charitable, ce n’est pas comme ça que l’on favorise le développement du Sud.

Nos jeunes diplômés s’installent aux Etats-Unis, ou en Inde, par exemple. C’est sans doute leur intérêt, c’est peut-être une aubaine pour tout le monde. D’accord notre investissement productif semble nous échapper, mais ce sont aussi des liens qui se créent, des réseaux d’amitié et des complicités entre les entreprises de ces émigrants et les entreprises de chez nous. Des flux d’échanges de toutes natures, c’est ça l’économie, avec le croisement des cultures qui en résulte, et les perspectives qui sont ainsi ouvertes. Le développement durable est un pari sur l’intelligence, et tout ce qui la stimule, comme les confrontations de cultures, les découvertes d’univers mentaux différents du sien, l’apprentissage des langues, est bon à prendre.

La mondialisation souffre de n’être qu’économique, et le concept de citoyen du monde peine à se concrétiser au quotidien, à se banaliser. Bravo aux cerveaux qui circulent, ils lui donnent du corps.

Ce n’est pas plus mal que la coupe du monde de football et les jeux olympiques, phénomènes certes mondiaux, mais où chaque nation s’échine à exister en tant que telle, au détriment d’une sorte de nation mondiale. La compétition n’est pas le meilleur terrain pour chercher à se comprendre.

Ce n’est pas plus mal que le tourisme. Les voyages forment la jeunesse, et le tourisme nous permet d’approcher d’autres cultures, d’autres modes de vie, et de relativiser nos succès et nos misères. Mais tout le monde vous dira que les contacts avec les populations des pays visités sont autrement plus naturels et chaleureux quand on est en voyage professionnel qu’en simple touriste. Le séjour prolongé à l’étranger, avec des relations de travail, sont le meilleur moyen de tisser des liens solides entre des personnes issues de cultures différentes.

Ce n’est pas la fuite des cerveaux qu’il faut craindre, mais leur confinement dans des frontières économiques et culturelles. Nul doute que la circulation des cerveaux ne soit un des moyens de libérer la croissance, pour reprendre le titre d’une commission célèbre. Ne la craignons pas, et faisons en sorte qu’elle soit équilibrée, qu’elle se fasse dans toutes les directions, qu’il y ait des retours naturels de cette mobilité au profit des pays d’origine, surtout s’il s’agit de pays pauvres.

Chronique mise en ligne le 7 février 2008

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