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Travail et Emploi

But

but vidar nordli mathisen 563590 unsplashIl s’agit ici de l’entreprise. Quel but poursuit-elle ? Le profit des actionnaires, le bien-être de ses salariés, la production de biens et services utiles à la société ? Le chômage persistant nous conduit peut-être à des remises en cause de ces positions.

Le débat sur le projet de loi PACTE (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) permet de remettre le projecteur sur le rôle de l’entreprise dans nos sociétés modernes. L’économiste américain Milton Friedmann dans un article célèbre publié dans le New-York Times en 1970 lui donne comme objectif la maximisation des profits pour ses actionnaires. Peu importe l’utilité sociale de la production, peu importe les autres « parties prenantes » de l’entreprise, salariés, clients, riverains et environnement.
Le drame persistant du chômage de longue durée a conduit l’association ADT Quart Monde à proposer l’approche inverse à celle de Friedmann, en faisant de l’emploi le but de l’entreprise : "un grand nombre de personnes n'ont pas de travail, sont prêtes à travailler, beaucoup de travail utile à la société n'est pas fait, et la privation d'emploi coûte à la société un prix exorbitant". Cette approche a été reprise au titre de l’expérimentation grâce à une loi du 25 février 2016. Il s’agit de créer des entreprises dont le seul but est de créer de l’emploi, les entreprises à but d’emploi, EBE, à ne pas confondre avec l’excédent brut d’exploitation, un terme comptable éloigné a priori du maintien de l’emploi. Hasard des sigles. L’EBE est expérimentée dans une dizaine de sites jusqu’en 2021. Le principe est simple : Il y a de nombreux besoins non satisfaits d’un côté, et des chômeurs de l’autre. Les chômeurs coutent cher à la société : leurs indemnités, les cotisations qu’ils ne paient plus, le manque à gagner, puisqu’ils ne produisent rien et consomment moins, donc moins de recettes fiscales, la perte de lien social, plus les nombreux problèmes personnels que le chômage provoque souvent, notamment pour la santé, avec les conséquences sur la sécurité sociale. De nombreuses analyses montrent qu’un chômeur coute par an nettement plus cher qu’un smicard(1). Sans parler du coût social, impossible à monétariser. Utilisons donc les indemnités auxquelles les chômeurs ont droit pour financer un emploi en CDI. Business model très simple : d’un côté des emplois utiles, répondant à des besoins locaux, des emplois qui n’entrent pas en concurrence avec les emplois existants, et de l’autre un financement assuré aux 2/3 par les indemnités dues aux chômeurs (reversés à l’EBE et non à l’intéressé), à hauteur de 17 800€, et pour 1/3 par les revenus de l’activité. Un modèle simple, qui s’appuie sur une démarche inverse à celle que l’on trouve habituellement :  Au lieu de partir de l’emploi et de chercher qui peut bien l’occuper, l’EBE part des chômeurs, de leurs compétences, de leurs envies, et cherche comment ils pourraient les rendre utiles. C’est l’esprit du bilan de compétence instauré comme moteur de l’entreprise. Et ça marche. De nombreux emplois sont ainsi créés. Sont-ils durables, permettent-ils de remettre des chômeurs longue durée sur le chemin de l’emploi, il est encore trop tôt pour le dire, l’expérimentation est en cours et devrait s’étoffer progressivement. Les 10 sites expérimentaux se sont donnés le nom de « Territoires zéro chômeur de longue durée, TZCLD », et constituent un réseau pour échanger sur leurs pratiques, leurs succès et leurs déboires.
Une des difficultés pointées dans les bilans intermédiaires de l’expérimentation, est que ces besoins auxquels ces chômeurs pourraient répondre ne sont en général que peu solvables. Même le tiers restant à financer est un problème. Accompagnement des personnes âgées, entretien du milieu naturel, réparation d’objets hors d’usage, taxi rural et même commerce de proximité, le peu d’agent disponible pour ces causes est parfois insuffisant pour assurer la pérennité de ces emplois. Il y a aussi le besoin d’investissement, d’outillage par exemple, pour que ces emplois puissent fonctionner. Il faut donc éviter de se lancer trop tôt dans une EBE. Celle-ci doit s’implanter dans un tissu local, en liaison avec les institutions (collectivités locales, pôle emploi, travailleurs sociaux, etc.) et le milieu économique.
Prendre les problèmes en amont, et en inversant la logique habituelle, voilà une pratique disruptive intéressante pour le développement durable. Au lieu de payer le coût d’une crise sociale - mais elle pourrait être aussi environnementale ou éducative -  mettons l’argent en amont, pour éviter qu’elle se produise ou en réduire l’importance. L’expérience montre que, très souvent, il coûte moins cher de prévenir que de guérir, mais au départ d’une telle démarche il faut assumer à la fois le coût des erreurs du passé et celui de la prévention, un double financement qu’il est difficile de trouver. C’est comme payer la dette et faire des économies pour éviter de l’alourdir. Et pourtant c’est bien dans cette direction qu’il faut aller, pour ne pas voir la crise se renforcer à la suite d’un phénomène cumulatif. Le coût global du chômage provoque des prélèvements de toutes natures qui alourdissent le coût du travail, et provoquent ainsi un chômage supplémentaire. Casser cette boucle infernale, les entreprises à but d’emploi n’y parviendront surement pas à elles toutes seules, mais elles peuvent y contribuer et créer des richesses, peut-être non marchandes mais bien réelles pour les bénéficiaires. Une sorte de double dividende, le développement durable est en marche !
 
1 Voir notamment Chômage, dans ce dictionnaire du développement durable

Photo Vidar Nordli Mathisen - Unsplash

 
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