Quatrième
Le débat sur les retraites oppose trop souvent les actifs et les inactifs. Cette division apparait aujourd'hui bien artificielle, voire abusive. Un nouvel âge, intermédiare, est né, et demande à être reconnu.
Il est d’usage de présenter la vie en trois âges, celui où nous sommes à quatre pattes, l’enfance, puis l’âge à deux pattes, l’âge adulte, et enfin celui de la vieillesse, à trois pattes avec la canne.Tout cela est dépassé, les trois âges s’interpénètrent joyeusement. Le débat qui fait rage sur la retraite le met en évidence sans toutefois en prendre la mesure. Les rigidités dans les esprits, ennemies du développement durable, en sont responsables.
Il y a aujourd’hui un quatrième âge. En fait, le Troisième a pris un point, et laissé la place à un âge inconnu jusqu’il y a peu. Un âge intermédiaire, entre l’adulte dans la force de l’âge et le vieux, au sens habituel du terme. On a inventé le quatrième âge à l’intention des plus vieux, sans se préoccuper des jeunes vieux ou de vieux adultes, comme on voudra, ceux qui ont entre 55 et 75 ans, parfois plus et même bien plus quand on voit la vigueur de certains artistes par exemple, sans parler des idoles des français, type Abbé Pierre ou Commandant Cousteau dont la longévité est devenue légendaire.
Avant, donc, notre vie était divisée en trois parties, l’enfance, l’éducation et l’apprentissage d’un métier, puis la phase dite productive, celle des « actifs », sur lesquels repose toute la production, et enfin les retraités, pour ceux qui y avaient droit car pendant longtemps, beaucoup de travailleurs indépendants, artisans, agriculteurs, professions libérales, continuaient à exercer leur profession jusqu’au terme de leur vie. La retraite est un phénomène plus récent pour eux que pour les salariés.
Notre organisation sociale, nos institutions, ont été construites sur cette division en trois, alors que notre vie est à présent divisée en 4. Passer de 3 temps à 4 temps n’est pas anodin, les amateurs de musique en savent quelque chose. Et danser à 4 temps sur une musique à 3 temps (ou l’inverse) devient vite un horrible cauchemar. Il y a une transition à organiser entre la force de l’âge et la vieillesse. On le sait bien d’ailleurs, les retraités apportent beaucoup à l’économie, de mille manières, certaines rémunérées, commerciales, et bien d’autres en auto production, en soutien aux plus jeunes de la famille, en garde d’enfants ou en assistance à la génération encore plus âgée, leurs parents. Un apport considérable bien absent des discussions d’aujourd’hui, obnubilées par la question comptable, ce qui se comprend mais ne doit pas occulter Les autres : la dimension humaine est souvent rapellée, ajoutons une dimension économique. Il y a de la richesse créée en dehors de l’entreprise, et elle est même comparable en volume aux échanges marchands.
Le débat actuel ne joue que sur la charnière entre deux âges, entre deux statuts, actifs et inactifs, alors qu’un nouvel âge s’interpose, qui demande peut-être un statut autonome. Le malentendu est inévitable. On ne pense qu’à prolonger l’acte II de la vie, au lieu d’imaginer un acte III spécifique. On a beau être actif et vif à 60 ans, on est usé par 40 ans d’activité, on a fait le tour de son métier, on a envie de faire autre chose. C’est cet « autre chose » qu’il faut offrir. Ce n’est d’ailleurs pas un cadeau, mais un bon calcul économique, de redonner une nouvelle jeunesse en redistribuant les cartes. C’est un jubilé, une renaissance, qui n’est pas le prolongement jusqu’à plus soif de l’activité d’avant. C’est une manière originale de valoriser un capital humain qui s’était déprécié dans le cadre habituel de l’entreprise.
Pour certains, ce nouvel âge s’organise spontanément. La famille, ou les réseaux sociaux tissés pendant de longues années sont là, et il y a les envies que l’on n’avait pas eu la possibilité d’assouvir pendant la vie « active ». Des associations offrent des opportunités aux jeunes retraités, sur un éventail allant du caritatif au professionnel, de la pétanque aux restos du cœur. Il y en a pour tous les goûts, mais on pourrait aller beaucoup plus loin sur cette voie. D’une part, parce que de nombreux retraités sont « paumés », ne savent pas où aller ni que faire, à la suite d’une rupture trop brutale avec leur ancien statut d’actif. L’inactivité s’installe vite, avec la perte de confiance en soi, l’éloignement des réseaux et des lieux de rencontre, le repli sur soi. Ensuite le mode de fonctionnement des activités « post retraite » n’est pas le même que celui de l’Emploi traditionnel, en entreprise, encadré par des règles sociales et professionnelles. Enfin parce que l’offre et la demande vivent chacune leur vie, et qu’il arrive qu’elles ne se rencontrent pas. Beaucoup ne trouvent pas l’activité où ils s’épanouiraient à l’automne de leur vie. C’est parfois parce qu’ils quittent leur emploi trop tard, trop usés pour s’imaginer encore Utiles.
Le chantier de cet âge intermédiaire reste à ouvrir, avec ses « partenaires sociaux » spécifiques, et ses liens à tisser avec les activités des « actifs » officiels, pour les consolider et non pas les concurrencer. Bien organisée, l’activité ainsi prolongée est bonne pour la santé, elle maintien l’esprit éveillé, fait bouger le corps, conserve la forme et retarde le vieillissement, l’arrivée du quatrième âge. C’est autre chose que le travail au sens classique, avec le stress de la hiérarchie, des échéances à assurer, les rivalités, et tous les avatars que l’on a connu pendant 40 ans. Une activité d’un nouveau type, pas tout à fait nouveau car déjà pratiqué, mais à étendre et à faciliter. L’irruption du 4e âge est une suite logique de la transition démographique du deuxième type que nous vivons, la stabilisation de la population avec une espérance de vie élevée. Une première dans l’histoire de l’humanité, qui exige une réponse adaptée, forcément dérangeante mais porteuse de perspectives sociales et économiques à explorer avec gourmandise.
Chronique mise en ligne le 2 juin 2010
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