Clé des champs
La dissémination d’éléments transgéniques dans la nature, récemment observée aux Etats-Unis, offre un nouvel éclairage sur le principe de précaution.
Ce que l’on pouvait craindre vient de se produire : le colza transgénique est parvenu à prendre la clé des champs, pour reprendre le titre d’un article paru dans le Monde du 10 août 2010(1). Les gènes de cette plante génétiquement modifiée se retrouvent dans des plantes Sauvages.
Ça se passe aux Etats-Unis, en Amérique, où la culture du Colza transgénique est largement répandue, mais si ça se passe quelque part, ça peut se passer partout ailleurs. Les plants OGM sont réputés stériles. Ils ne peuvent se reproduire selon la théorie, contrairement aux modes traditionnels de production où chaque Culture fournit à la fois des produits commercialisables, comme des grains de blé, et des semences pour les prochaines Saisons. Un revenu immédiat et la Source des revenus des années à venir.
Les OGM rompaient avec cette logique. Chaque cycle de production est autonome, les semences doivent être rachetées chaque année à l’industriel qui les fabrique. Une manière d’accroître la Dépendance des agriculteurs vis-à-vis de leurs fournisseurs. L’autoproduction de semences est oubliée, et serait destinée à rejoindre le chapitre des Curiosités, voire des arts et traditions populaires. On a souvent mis l’accent sur le volet économique et social, il faut aussi souligner la dimension culturelle et sociétale de cette transformation. La subordination du monde agricole s’accentue et touche au cœur même de l’activité. La Connaissance fine, transmise de génération en génération, des Qualités de chaque variété cultivée, était une part déterminante du Capital humain de chaque exploitation, et lui apportait sa Valeur. Les augmentations promises de production rendues possibles par les OGM justifiaient peut-être de sacrifier les structures traditionnelles de production, le Débat est largement ouvert. Les OGM ne sont d’ailleurs pas la seule manière de bousculer l’ordre établi, la mécanisation, la génétique ordinaire, la chimie et les modes de commercialisation ont également ébranlé des édifices qui n’ont pas de raison d’être éternels.
L’observation faite par les scientifiques de l’Université de l’Arkansas éclaire le sujet d’une toute autre Lumière. La stérilité des produits OGM étaient supposée en interdire la dissémination. Leur durée de vie était limitée à une saison, et il était possible de tout arrêter en cas de problème avéré. Si, sur le long terme, une culture OGM révélait des inconvénients non apparus au cours des tests et des premières années de production, il était possible de limiter les dégâts, de contrôler la situation. Le docteur Frankenstein pouvait à tout moment tuer sa Création, si celle-ci devenait dangereuse. Il semble que le colza transgénique ait pris ses Distances vis-à-vis de son créateur.
Les chercheurs américains ont prélevé des plants de colza tout au long de 5400 km de Routes et y ont trouvé, dans 86% des cas, des gènes inconnus dans la nature, et qui leur permet de résister à un herbicide total. Plus inquiétant encore, des plants « sauvages » ont combiné plusieurs gènes : « cela signifie que des croisements dans la nature ont « inventé » un nouvel OGM ». Non seulement les créatures artificielles ont pris la clé des champs, mais en plus elles se reproduisent, notamment avec d’autres créatures elles aussi artificielles.
On a craint que les OGM ne soient nuisibles pour la Santé humaine. S’ils restaient des produits purement industriels, il aurait été possible, à tout moment, d’en arrêter la fabrication. En cas d’alerte, on peut tout arrêter. A l’inverse, si les gènes créés artificiellement sont devenus sauvage, tout est à craindre.
En premier lieu, les plantes résistantes aux herbicides risquent de devenir gênantes dans les autres cultures. Ce sont de mauvaises Herbes dont il est bien difficile de se défaire. Et puis leur progéniture est une grande inconnue. Ces nouvelles plantes, à la fois naturelles et OGM, ne nous réservent-elles pas de mauvaises surprises ? Seront-elles porteuses de produits toxiques, seront-elles invasives et se substitueront-elles aux plantes utiles ?
Souvent évoqué au sujet des OGM, le principe de Précaution est ici parfaitement illustré. C’est la perte de contrôle du phénomène qui est dangereuse. Que deviendront des plantes inconnues, issues de croisements spontanés ? L’opinion est à juste titre sensible aux effets supposés sur la santé, qui peuvent être source d’inquiétude. Mais l’irréversibilité des phénomènes en chaine provoqués par l’apparition dans la nature d’êtres bizarres est une autre cause d’inquiétude. Les effets déjà observés des espèces invasives, donnent une idée des Risques encourus. Telle espèce répandue en Amérique ou en Asie chasse ses « concurrentes » en Europe, et transforme les équilibres écologiques, dans le sens d’un appauvrissement général due à la domination d’une espèce. En Mer Méditerranée, les Algues tueuses offrent un bon exemple, si l’on ose dire, des effets d’une introduction accidentelle d’une espèce.
Les OGM vont-ils s’imposer du simple fait de leur résistance aux herbicides, vont-ils s’imposer à nous avec leurs qualités mais aussi leurs défauts ? Que ferons-nous si desdits défauts s’avèrent trop dangereux pour la santé humaine et la Richesse biologique dont nous tirons tant de ressources ? La dissémination des OGM était une hypothèse, elle est devenue réalité. Rappelons-le, le principe de précaution n’est pas un principe d’inaction. C’est une exigence pour l’innovation, à une époque où la puissance humaine est telle qu’elle peut transformer notre planète. Une exigence de prospective et de compréhension des conséquences prévisibles de décisions, pour que celles-ci soient pris en connaissance de cause. Les affirmations de la stérilité des OGM apparaissent aujourd'hui bien légères. Le Docteur Frankenstein est peut-être toujours à l’œuvre…
(1) Aux Etats-Unis, du colza transgénique est parvenu à prendre la clé des champs, article d’Hervé Morin
Chronique mise en ligne le 13 août 2010
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