Trame
La trame verte et bleue s'étend progressivement dans nos villes et nos campagnes. Une nouvelle approche de l'aménagement, propice à des confrontations fructueuses, et à des doubles dividendes !
En matière textile, la trame est capitale. Avec sa consœur la chaine, elle structure le tissu, lui donne sa force. Comme en matière de roman, dont elle organise la progression dramatique. En matière d’environnement, elle a une couleur, ou plutôt deux, le vert et le bleu, mais nous sommes nombreux à penser qu’elle est aujourd’hui bien trop faible. La trame verte et bleue. TVB, comme tout va bien. Un concept qui apparait comme l’aboutissement d’un chemin commencé il y a longtemps, avec les premières protections d’espaces remarquables ou d’espèces en danger. Il s’agit de biodiversité, notre capital « nature », que nous consommons parfois sans précaution.
Nous nous sommes d’abord intéressés à la nature exceptionnelle, souvent liée à des paysages spécifiques, comme les dunes, des marais, ou encore des vallées. Il fallait aussi protéger des espèces emblématiques, comme le célèbre gypaète barbu. Et puis nous nous sommes rendu compte que ces espèces et ces espaces n’étaient pas isolés. Ils s’inscrivent dans un milieu complexe, autour d’éléments ordinaires, banaux, avec lesquels ils vivent en symbiose. Inutile, donc, de protéger le haut de la pyramide si la base est sapée et fond comme peau de chagrin. On ne peut isoler les éléments exceptionnels du reste de leur environnement. Il faut comprendre les relations qu’ils tissent autour d’eux, et faire vivre et prospérer l’ensemble. C’est là que la trame intervient.
C’est un tissu vivant avec des parties très riches, que l’on appelle des « réservoirs » de biodiversité, et des cheminements qui permettent de les relier entre eux. Isolés, iles réservoirs s’étiolent ; reliés, ils prospèrent. Il faut permettre les échanges, et favoriser les parcours que les êtres vivants suivent tout au long de leur vie, alimentation, reproduction, repos, etc.
Quand c’est sur terre, la trame est verte, et quand c’est le long de cours d’eau, avec leurs berges et leurs différents lits, elle est bleue, avec bien sûr toutes les conjugaisons possibles, tout comme la terre et l’eau qui composent des sites exceptionnels.
Une démarche qui s’est construite progressivement, et qui a reçu l’onction du Grenelle de l’environnement. La voilà reconnue, et même légalisée et destinée à intégrer des schémas régionaux de cohérence écologique. La consécration ! Quelques années de pratique montrent que son intérêt va bien au-delà de la biodiversité. Le vrai bénéfice, c’est de se parler. La biodiversité offre une occasion unique d’ouvrir un dialogue. Dans une société où chacun s’inquiète légitimement sur son avenir, la tentation du repli est forte, et se traduit pas une réduction des échanges entre voisins, entre habitants de la même ville ou de la même région, au sens de l’espace vécu quotidiennement. Chacun devant sa télé, ou en dialogue à distance, c’est plus sûr (illusion !) que de se trouver en face à face. Il faut des lieux et des occasions pour remettre cette tendance en question, et créer des liens. La nature, notre patrimoine commun, le permet. Ce n’est pas gagné d’avance, c’est parfois délicat, il y a des contentieux anciens et d’autres inimitiés, des méfiances, mais on peut y arriver si on s’y prend bien.
Un exemple un peu décalé par rapport à la TVB : les piles d’éoliennes off shore. Il est possible de les concevoir pour favoriser la biodiversité. Choix des matériaux pour que la vie puisse s’accrocher, choix des formes pour offrir des refuges, modes de gestion, etc. Les opérateurs le disent : la réflexion préalable est l’occasion de réunir toute les communautés maritimes, dont les intérêts sont parfois divergents : pêcheurs professionnels et amateurs, pêcheurs sous-marins, conchyliculteurs, plaisanciers, etc. Une rencontre toujours utile, et dont les effets vont bien au-delà de l’implantation de piles en béton.
Il en est de même pour les trames vertes et bleues. Elles permettent d’inverser des pratiques courantes ; au lieu de considérer les espaces « libres », agricoles, forestiers, naturels, comme « résiduels », comme des réserves pour une future urbanisation, des terres sans avenir, la trame verte et bleue leur redonne une raison d’être. Un projet nouveau voit le jour, complémentaire au projet traditionnel d’expansion des zones construites et des infrastructures. Deux projets qu’il faut confronter, dont il faut donc parler, pour parvenir à une vision cohérente de l’espace dans toutes ses dimensions.
Les intérêts à conjuguer sont multiples : maîtrise du développement urbain, économie d’espaces et d’infrastructures, entretien d’espaces collectifs, ouverture d’espaces privés, plaisir immédiat des habitants en quête de lieux de détente et de découverte, préservation d’espèces en danger, etc. Des contradictions à surmonter, souvent, mais qui ne peuvent l’être que si les acteurs sur le territoire se parlent. La gouvernance de ces projets est la clé du succès, un succès qui s’étend alors bien au-delà de la protection de la nature.
Nous retrouvons le concept, bien connu dans le développement durable, de double dividende. Gagner sur plusieurs plans à la fois, transformer des oppositions en complémentarités, voire en complicités.
Le « mode d’emploi » des trames vertes et bleues serait donc un guide pratique du développement durable. Il n’en existe pas d’universel, pas de bible en la matière. Mais des expériences, des repères, des témoignages. Deux pistes, pour conclure cette note. L’une en provenance d’une région pionnière : les espaces naturels régionaux, dans la Région Nord-Pas de Calais (www.enrx.fr), et les « cahiers techniques » qu’ils éditent sur ce sujet. La seconde, plus technique, sous la forme d’un ouvrage scientifique, « Trames vertes urbaines », aux éditions du Moniteur. Et il y a bien d’autres pistes à découvrir. Bonne découverte !
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