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Ressources, Nature et mer

Tout va bien

« Jusque là, tout va bien ! » Vous connaissez tous cette histoire du type qui tombe du 20e étage, et que l’on entend dire, à chaque étage au cours de sa chute, « Jusque là, tout va bien ! ». Il me semble l’entendre bien souvent, notamment en matière de ressources et d’énergie.

Les opportunités d’investissement sont bonnes dans les entreprises sur l’ensemble de la chaine des énergies fossiles, en mettant l’accent sur l’exploration du pétrole et du gaz, affirmait récemment le responsable de l’Analyse énergie d’une banque privée suisse (1).  La croissance des énergies fossiles est plus sûre. Bel esprit d’anticipation, qui ignore le facteur limitant du réchauffement climatique. Oui, tout va bien, et les analyses économiques présentées sont justes, sauf que ça finit mal. Cherchez l’erreur.

Il y a quelque chose qui cloche dans ces raisonnements, qui poussent à foncer tout droit vers l’impasse. Les besoins vont s’accroître, les énergies renouvelables coûtent cher, le nucléaire est remis en question après Fukushima, alors feu vert pour les énergies fossiles. Tout simplement. On reste confondu devant un tel aveuglement. L’effet de serre ne rentre pas dans l’équation.  Sans doute les « experts » transposent dans le domaine de l’énergie le comportement souvent entendu après les crises financières : Tout le monde savait que ça allait arriver, mais on ne savait pas où et quand. Nous savons que l’effet de serre va faire mal, et il a déjà commencé sous la forme de dérèglements climatiques de plus en plus fréquents, mais chacun se dit que ce sera plus tard, continuons comme s’il n’existait pas, on verra bien le moment venu.

L’idée que les raisonnements ne prennent pas en compte tous les facteurs ne semble pas effleurer ces beaux esprits. Peut-être est-ce l’éventualité d’une catastrophe, qui oblige à changer profondément  les schémas économiques, qui n’entre pas dans les modèles. Les « ruptures » sont prévisibles, mais on ne sait pas en décrire les effets. Alors, faisons comme si elles n’existaient pas, et continuons la chute étage après étage : jusque là,  tout va bien !

La crise actuelle de l’Euro et la situation de la Grèce relèvent de la même logique. On apprend que tout le monde savait que ça allait arriver, tôt ou tard. L’économie grecque, ses structures de contrôle et d’accompagnement, l’organisation de l’Etat, ne permettent pas à la Grèce de répondre à ses engagements, et tout le monde le savait. Les comptes publics fournis aux autorités européennes étaient faux, et tout le monde le savait. On a laissé faire, jusque là, tout va bien, et puis on a touché le fond. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle casse. Ça devait arriver, et c’est arrivé, avec les conséquences en chaine que l’on peut craindre.

La dégradation de notre Patrimoine biologique est souvent décrite, mais sans que ça change vraiment les comportements. Prenons l’exemple des océans et de la vie marine. Les avertissements sont de plus en plus fréquents,  qui nous disent qu’il n’est pas possible de continuer comme ça très longtemps. Des stocks de poissons, des espèces autrefois très abondantes, ont vu leurs effectifs diminuer fortement, avec des risques sérieux de passer au-dessous de la masse critique, la population minimum pour assurer la survie de l’espèce. Le « Jour de Dépendance », qui désigne le jour où notre ressource propre est épuisée et où nous devons consommer des poissons en provenance d’autres pays, devient de plus en plus précoce : 13 juin en 2011, 21 mai en 2012. En 12 ans, la France a perdu un mois d’autonomie. Pour la deuxième puissance maritime du monde, ça ne fait pas riche. Au niveau mondial, le risque de « décrochage » de certaines populations de poissons est bien réel, avec les conséquences économiques et alimentaires qui en découleront. Mais ce n’est pas encore le cas, jusque là, tout va bien, continuons à armer de grandes flottes et des usines flottantes.

Le développement durable, c’est anticiper. Au-delà des raisonnements et des calculs traditionnels, conçus il y a bien longtemps dans des contextes bien différents, quand on pensait que la Terre était infinie, voyons où le chemin choisi nous conduit. Manifestement, nous allons vers des impasses, et plus nous avançons, plus le retour en arrière sera douloureux. D’autres voies de développement sont possibles, fondées sur la valorisation maximum des ressources plutôt que sur le prélèvement perpétuel de nouvelles ressources. Deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources (2).

Les énergies fossiles présentent beaucoup de commodités, à commencer par celle de ne pas avoir à changer nos habitudes ni nos structures de production. Mais, c’est bien dommage,  elles n’ont pas d’avenir, encore quelques dizaines d’années, même si les réserves que le sol contient pourraient en fournir encore quelques siècles. Le réchauffement climatiques n'attendra pas. Compte-tenu de l’inertie de nos sociétés et de nos économies, le virage doit être pris aussi vite que possible. Les étages défilent vite : jusque là, tout va bien, mais pour combien de temps encore ?

 

1 Dans la revue Energie Plus datée du 1er mai 2012
2 Pour reprendre le sous-titre du rapport au Club de Rome Facteur 4, d’Enst U. von Weizsäcker, d’Amory B. Lovins et de L. Hunter Lovins, Terre Vivante (Edition française), 1997 et 2006


 Chronique mise en ligne le 6 juin 2012

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