Patrimoine
Il s’agit ici du patrimoine collectif, celui de l’humanité, et tout spécialement du patrimoine naturel. Malgré les protections dont il bénéficie, il est menacé par la recherche de pétrole. Comment assurer la durabilité de ce patrimoine ?
Nous connaissons tous le patrimoine mondial de l’humanité, classé par l’UNESCO, et qui désigne des sites exceptionnels, ou des éléments de culture, allant jusqu’à des modes de vie comme le déjeuner familial en France. Le patrimoine naturel constitue dans cet ensemble une catégorie particulière, un cinquième environ de l’ensemble si l’on tient à quantifier ce qui n’est guère quantifiable.
Les lieux d’une richesse biologique exceptionnelle, où l’on trouve des espèces rares et souvent menacées. Parmi les plus emblématiques citons les gorilles de montagne, les éléphants d’Afrique, les léopards des neiges, les baleines et tortues marines. Pour prendre un exemple, la barrière de corail en Australie, qui a fait parler d’elle à cause des projets d’aménagements de ports et d’exploitation sous-marine, est un de ces sites. Leur surface ne représente que 1% de la surface de la planète, dont une bonne part dans des régions reculées, loin de tout, et protégée de ce fait de la fréquentation et de l’artificialisation qui en serait résulté.
Ce patrimoine est menacé. Un tiers des sites concernés ferait l’objet de projets d’exploration pétrolière, gazière ou minière. Les protestations que l’affaire de la grande barrière de Corail a suscitées ont permis de réduire les menaces, mais bien d’autres sites sont touchés. Il est vrai que les sites les plus évidents ont été prospectés depuis longtemps, et que les recherches atteignent aujourd’hui ces secteurs plus difficiles d’accès. Ajoutons que les techniques d’exploration se sont fait plus performantes, et ouvrent des perspectives là où il n’y avait aucun espoir il y a quelques années, dans des conditions extrêmes, sous les calottes glacières par exemple. Les conditions sont réunies pour franchir une étape, et pénétrer dans ces sanctuaires jusqu’ici inatteignables. Que valent ces gorilles et autres tortues marines face aux appétits des humains, toujours à la recherche de ressources nouvelles ?
C’est donc un cri d’alarme que lance le WWF, à la suite de l’étude qu’il a conduite avec différents partenaires, sur les sites naturels du patrimoine mondial de l’humanité (1). On pourrait ajouter au dossier les nombreux sites exploités depuis longtemps, de haute valeur écologique mais dont la dégradation a empêché toute forme de protection. Les grands deltas sont nombreux à avoir fait l’objet d’exploitation bien avant que l’UNESCO ne commence à classer les sites remarquables pour l’humanité.
Nous sommes en plein paradoxe. D’un côté les recherches de nouvelles réserves continuent de plus belle, et de l’autre, il est établi que l’humanité ne doit pas consommer toutes les ressources fossiles déjà connues, pour cause d’effet de serre. Le carbone ainsi stocké dans les profondeurs y est très bien, et pour éviter de dépasser les 2 degrés de réchauffement, les deux tiers des ressources connues devraient y rester. Nous avons tant de mal à capter le CO2 et à le séquestrer, pourquoi se donner encore plus de mal à vouloir l’extraire et le remonter à l’air libre ?
Il est fréquent que la main droite ignore ce que fait la main gauche, mais dans le cas présent, nous perdons sur tous les tableaux, climat et biodiversité. Comme les deux sont par ailleurs liés, le dérèglement climatique bousculant les écosystèmes, craignons un effet de résonnance, avec une dégradation encore plus rapide et inexorable que l’addition des effets de chacune des causes prise isolément. Le climat fait à l’évidence partie du patrimoine mondial de l’humanité. Chaque communauté humaine s’est développée avec son climat, qui a marqué sa culture et son mode de vie. La France, à l’extrémité du grand continent européen, en charnière entre les influences continentales, océaniques, méditerranéennes, bénéficie notamment d’un climat tempéré humide qui a marqué son histoire, façonné sa personnalité, et lui a apporté une exceptionnelle richesse biologique.
Est-ce une coïncidence ? Au moment précis où le rapport est publié, La France agrandit son patrimoine, en étendant son domaine sous-marin à l’issue d’une longue procédure. Une surface proche de celle de l’hexagone vient de changer de statut pour les sols et sous-sols du plateau continental, au-delà des 200 miles de la zone économique exclusive. Espérons que cette extension favorisera la protection de la biodiversité de ces secteurs, essentiellement en zone tropicale et australe (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Nouvelle Calédonie et îles Kerguelen).
1 - Rapport Safeguarding Outstanding Natural Value, réalisé par WWF, Aviva Investors et Investec Asset Management. Septembre 2015. Version anglaise sur http://assets.wwf.org.uk/downloads/safeguardingoutstandinguniversalvalue.pdf
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