Skip to main content

Ressources, Nature et mer

Ivoire

Écrit par Gérard Sournia le . Publié dans Ressources naturelles

La disparition de Nelson Mandela coïncide avec un accord historique sur l’éléphant d’Afrique. Gérard Sournia, grand connaisseur de l’Afrique et de l’éléphant, commente ces évènements pour le blog du DD.

elephantQuel curieux clin d'œil du destin ! Au moment où se tenaient, quasi simultanément, début décembre, deux conférences à Gaborone - Botswana (qualifiée de « Sommet sur l’éléphant d’Afrique ») et à Paris, et qui pourraient s'avérer décisives pour la survie des éléphants, s'éteignait Nelson Mandela.

Celui que les Africains appelaient le baobab, parce qu'il avait résisté à tout. Lui qui fût l'apôtre de tant de combats, le fut aussi pour les éléphants. Il appela, à plusieurs reprises à une réaction en leur faveur, les qualifiant de « Patrimoine de toute l'Afrique ». Et il avait raison, car il fut un temps où les éléphants étaient presque partout présents sur la terre d'Afrique : du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest.

Les résultats de ces rencontres l'auraient rempli de joie. Elles sont porteuses d'espoirs. Celle de Gaborone, bien plus que celle de Paris, constitue une réponse appropriée à une situation d'extrême gravité, comparative, mais certainement plus grave, que celle des décennies 70 et 80, traduite par une vaste mobilisation conduite par la France, le Tchad, le Burkina Faso et le Niger, avec le soutien de l'Europe et de nombreux pays. Elle conduisit, début 1990, la CITES(1) à inscrire l'Eléphant d'Afrique en Annexe 1 de sa Convention. Une décision qui permit alors un répit salvateur, et la reconstitution des effectifs et, surtout, la restructuration sociale des groupes familiaux, base essentielle de cette survie.

La nouvelle boulimie de la clientèle chinoise renoue ainsi avec une tradition millénaire faisant de la possession de l'ivoire un marqueur social, accentuée par une présence plus massive d'entrepreneurs asiatiques en Afrique. Elle a spectaculairement relancé la demande de cette matière noble et enrichissante, encourageant les faiseurs de conflits sur le continent, et en finançant les mouvements rebelles.

Mettre fin à cette escalade meurtrière, qui depuis 3 ans a pris des proportions inégalées (près d'1/10 des 500 à 600 000 éléphants tués), était une absolue priorité pour l'espèce, mais aussi pour la biodiversité. Une telle décision ne pouvait se concevoir que si toutes les parties concernées acceptaient de s'asseoir autour d'une table, avec la volonté de stopper cette dérive. Ils s’y sont attelés durant 4 jours. Les résultats de ce plan d'urgence, en 14 points, sont inespérés.
Autour du Gouvernement botswanais, de l'UICN(2), de l'Association Traffic, de la CITES, un consensus a vu le jour parmi les Etats participants : pays où se pratique le braconnage, pays de transit de l’ivoire (Malaisie, Philippines, Vietnam..), pays consommateurs (Chine, Thaïlande...). Ils se sont engagés, notamment, à traiter le trafic d’espèces sauvages comme un « crime grave ». Une classification qui permettra la coopération internationale, l’extradition et la poursuite des coupables, la saisie et la confiscation d’actifs. Les pays devront également renforcer les peines envers les braconniers et les trafiquants afin de les rendre dissuasives. Dans les pays acheteurs d’ivoire illégal, les Gouvernements prévoient la mise en place de stratégies ciblées pour influencer le comportement des consommateurs.

Au même moment (le 5 décembre) une table ronde, regroupant une vingtaine de pays dont des Chefs d'Etat (parmi lesquels on ne peut que s'étonner de voir figurer les Comores, petit archipel insulaire de l'Océan indien qui n'a jamais abrité le moindre éléphant ou d'autres pays où les populations d'éléphants sont insignifiantes) était organisée à Paris, à l’initiative de Nicolas Hulot ; elle fut conclue par une « Déclaration de Paris ». Elle engage les pays signataires « à agir sans délai et de manière résolue » contre le braconnage et le trafic des espèces. A cette occasion le Président, François Hollande a déclaré, à l’ouverture de la table-ronde, « J’en appelle à la conscience des pays consommateurs. Acheter de l’ivoire par exemple, doit être un acte clairement puni ».
La France a annoncé qu'elle allait brûler son stock d’ivoire, issu des saisies douanières (comme le fait régulièrement le Kenya depuis 1990, et les Etats-Unis ces derniers mois) et à renforcer les sanctions financières encourues par les trafiquants. Dans le cadre de la coopération judiciaire et policière (Convention de Palerme) ce plan d’action prévoit de renforcer les moyens d’enquête des services concernés et de donner de nouvelles instructions aux procureurs pour mieux investir le champ de la criminalité faunique. Paris suggère d’harmoniser le régime des sanctions au niveau européen et le proposera au prochain Conseil des Ministres de l’Environnement. Elle souhaite enfin que les instruments juridiques internationaux existant pour lutter contre la criminalité internationale soient utilisés dans le cadre du trafic d’espèces, rejoignant ainsi l'une des recommandations fortes de Gaborone.

S’agissant de l’aide concrète que la France s’engage à apporter aux pays africains dans la lutte contre le braconnage, elle se traduira dans un premier temps par des opérations de conversion de dette. Le Gabon en sera un des premiers bénéficiaires, pour un montant de 10 millions d’euros sur cinq ans, ainsi que le Mozambique pour 4 millions d’euros.
Les résultats de cette réunion de Paris reprennent en grande partie les recommandations de Gaborone. Elles ont le mérite d'être présentées en marge du Sommet pour la Paix et la Sécurité en Afrique organisé les 6 et 7 décembre, en présence de la quasi totalité des plus hautes personnalités représentants une cinquantaine de pays africains, principaux concernés par ce pillage continental.
On peut s'étonner que les représentants de la France n'aient pas rappelé, et ainsi justifié leur initiative, qu'il y a un peu plus de 20 ans notre pays, avec le Ministre Brice Lalonde et le Premier Ministre Michel Rocard, avaient était les précurseurs d'une telle mobilisation. Défaut de mémoire ou souci de récupération ?

Si ces résolutions passent le filtre des incantations et des bonnes intentions pour devenir réalités, elles constitueront alors un bel hommage posthume pour le plus grand des Africains.

Gérard Sournia

1 - CITES, Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.
2 - UICN, Union internationale pour la conservation de la nature

Chronique mise en ligne le 9 décembre 2013

  • Vues : 2493

Ajouter un Commentaire

Enregistrer