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Ressources, Nature et mer

Équipement

equipementUn mot aujourd’hui orphelin d’un ministère, mais qui a gardé sa magie. Le bien public marche au rythme des équipements publics. La nature, malgré sa générosité, est longtemps apparue  comme le contraire des équipements. Est-ce une fatalité ?

Vous connaissez la célèbre pensée de Blaise Pascal : Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos, dans une chambre(1).

  Effectivement, ne rien faire est insupportable, notamment pour un « entrepreneur », au sens générique de quelqu’un qui a envie d’entreprendre. Les aménageurs de l’espace n’y échappent pas. Il faut marquer le territoire, et réaliser de grandes choses, il faut des équipements.

 

Il en faut, de la modestie, pour  admettre que la nature et le cycle des saisons rendent autant de services (et parfois bien plus) qu’un bel équipement. Même en situation budgétaire tendue, surtout d’ailleurs dans ces situations où il faut redynamiser le tissu économique, les travaux lourds et bien visibles valent mieux que ne rien faire.
La nature a payé cher cette observation. Que de places de village, gentiment négligées et envahies sur les marges par une végétation sauvage, ont été couvertes d’asphalte pour faire propre, que d’herbes folles ont été tondues ras pour montrer que la commune et son cantonnier sont actifs, que de petites plages de rivière ont été équipées pour les rendre plus accessibles. La meilleure volonté du monde, associée à ce que l’on appelle des « représentations » de la modernité, conduisent à des interventions non seulement inutiles, mais souvent nuisibles. Nuisibles pour l’environnement, qui se trouve ainsi artificialisé, et nuisibles pour les habitués de ces espaces, qui voient disparaître bien des souvenirs et des repères familiers pour une valeur ajoutée qu’ils n’ont jamais demandée.
Quand il s’agit d’espaces prestigieux, ou de grande valeur écologique, des instruments d’intervention ont été imaginés, comme le classement au titre des sites pittoresques ou la mise en réserve. Des instruments souvent considérés comme des Freins à l’activité humaine, et même parfois des obstacles au développement. Ils sont perçus comme passifs, alors que l’on ne rêve que d’activité. Le PIB, qui régit nos politiques économiques, ne tient d’ailleurs compte que de l’activité. Peu importe son utilité et la satisfaction des besoins, supposées aller de soi.
Bien sûr, ces protections officielles sont actives. La nature, dans notre beau pays, n’est pas sauvage, elle est le fruit de siècles de travaux agricoles, pastoraux ou forestiers. La conserver en bon état suppose donc le maintien d’une activité, même si celle-ci ne trouve plus de justification dans l’économie marchande. Il faut des Plans de gestion, et des interventions effectives, mais leur Image, peut-être justement parce que l’on ne se situe pas dans l’économie ordinaire, reste entachée dans l’esprit des « entrepreneurs ». Au lieu de se projeter dans la gestion de « biens Communs », avec une forte rentabilité à en attendre, ils ne voient que le côté conservateur, donc rétro, tourné vers le passé. C’est oublier la valeur du paysage, et des flux économiques qui y sont attachés. Le Tourisme est la première activité économique au monde, et en France en particulier. C’est oublier tous les services Gratuits que la nature nous procure, et qui irriguent l’économie ou évitent de lourdes dépenses. Ne pas traiter l’eau potable grâce à une gestion des territoires où elle est captée, ou stocker « naturellement » dans la montagne  l’eau qui s’écoulera tout l’été, voilà des économies intéressantes. Elles permettent d’allouer les moyens disponibles à d’autres besoins, mais elles sont bien mal vues des hyper actifs qui tentent de se substituer à la nature. Une envie de contrôler les éléments naturels plutôt que « Faire avec », une vision bien brutale de la civilisation.
Ces événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs. Ce titre d’un essai de François Ascher(2), inspiré sans doute de Jean Cocteau qui parlait des mystères avec les mêmes mots, nous donne une piste intéressante à suivre pour protéger la nature, au sens actif du terme, tout en offrant aux entrepreneurs le sentiment d’être indispensables. Faisons de la nature un équipement au sens habituel du terme. Créons les « unités de biodiversité ». Une idée déjà mise en œuvre aux Etats-Unis, en Australie, en Allemagne pour les compensations rendues nécessaires pour reconstituer de la richesse biologique là ou des grands travaux l’avaient mis à mal. Voilà qui est sérieux, qui fait l’objet d’un Commerce, tout comme, avec d’autres termes, certaines plantations répondent au besoin de stocker du gaz carbonique en compensation d’émissions de gaz à effet des serre. Une unité de biodiversité est un équipement, au sens habituel du terme, avec un opérateur et une logique d’entreprise. Certains s’en plaindrons peut-être, mais à l’inverse on peut saluer cette évolution : le génie écologique sort de la clandestinité, il est reconnu comme une spécialité à part entière, financée par les ouvrages ou les fonds de compensation.
La nature transformée en équipement, ça fait tout drôle, malgré tout, mais si c’est une bonne manière d’en reconnaître la valeur, les apports multiples qu’elle procure gratuitement, ne nous en privons pas, et acceptons cette petite révolution dans nos esprits et nos fameuses représentations.
Lancée au départ pour des compensations, le concept d’unité de biodiversité peut aisément être étendu aux actions positives de conservation, comme les trames vertes et bleues et autres formes de gestion de berges de rivières, par exemple. On peut la croiser avec d’autres bonnes idées, comme la gestion différenciée des espaces verts, allant de la place très artificielle en Centre ville à des berges de rivière à considérer comme une source de richesses à préserver. Dans la logique de Blaise Pascal, transformons le « rien faire » apparent de la protection en une activité reconnue, au même titre que les grands travaux et les équipements publics.

1 - Pensées, 139
2 - Ces événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs. Essai sur la société contemporaine, François Ascher, L'Aube, 2000

 

 Chronique mise en ligne le 27 juin 2011

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