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Les espèces menacées, endémiques, en voie de disparition ont fait l’objet de politiques volontaristes depuis que la protection de la nature est reconnue comme une nécessité. Ce sont des symboles de la biodiversité, et sont de bonnes indicatrices de l’état de santé général d’un milieu. La disparition d’un prédateur, en bout de chaine alimentaire, bouleverse tout un équilibre, et appauvrit l’environnement bien au-delà de l’espèce perdue ou réduite. Le cas des requins en est une illustration bien connue, et on peut aussi parler des loups, des rapaces, et de nombreux animaux que l’on doit protéger aujourd’hui.
Le sommet de la pyramide a donc fait l’objet de mesures bien visibles, avec des succès comme le retour de certains prédateurs, ou dans les cas extrêmes, leur réintroduction. Des politiques qui ne vont pas de soi, et rencontrent parfois des oppositions car ces animaux ont été chassés et exterminés par des habitants qui voulaient s’en protéger et ont adopté des modes de vie débarrassés de cette contrainte. La cohabitation n’est pas toujours facile, et les conflits autour des loups, des lynx et des ours sont là pour nous le rappeler.
Depuis quelques années, c’est une autre préoccupation qui monte : celle de la base. C’est la nature ordinaire qui est menacée. Les alertes sont multiples : de comptages en comptages, ce sont les oiseaux communs, les vers de terre ou les insectes dont les effectifs s’effondrent, sans parer de certains poissons autrefois abondants. La référence au pare-brise est une manière populaire de mettre en évidence ce phénomène. Traversez la France en voiture, vous n’aurez pas besoin de le nettoyer, alors qu’il y a 20 ans, vous auriez dû le gratter plusieurs fois pour conserver une bonne vision de la route.
On parle aussi beaucoup des insectes pollinisateurs, l’abeille domestique en tête de gondole à cause du miel et de l’activité économique qu’elle représente, mais il y en a bien d’autres. Ce petit monde en déclin prononcé rendait bien des services, et en plus gratuits, et il fournissait aussi la nourriture d’autres animaux, oiseaux, reptiles, batraciens, etc. Ceux-ci voient leur garde-manger se dégarnir. Ils en sont durement affectés. Certains disparaissent à leur tour, d’autres déménagent, d’autres encore changent leur mode de vie, réduisent leur taille pour limiter leurs besoins, ou réduisent leur population en modulant leur fécondité. C’est le début d’une réaction en chaine, le phénomène se répercutant d’étage en étage de la pyramide écologique. Le sommet de ladite pyramide, si précieusement protégé, est alors menacé à son tour.
Les espèces communes, tellement abondantes autrefois que nous n’y portions aucune attention, deviennent aujourd’hui l’objet de préoccupation. La crise qu’elles connaissent a de nombreuses causes. Usage massif d’insecticides et autres pesticides, destruction des habitats favorables qui leur offrait le gîte et le couvert, tassement des sols et artificialisation, découpage du territoire du fait des infrastructures, prélèvements abusifs, etc. Un ensemble de conditions de vie qui se dégrade, et qui reflète notre mode de vie. Ce ne sont plus des politiques reconnues d’environnement, mais des politiques agricoles, industrielles, touristiques, de transport, d’aménagement, parfois même de santé publique. L’environnement, ou l’écologie si vous préférez, n’apparait qu’en deuxième rang, derrière d’autres préoccupations. Celles-ci se sont développées sans égards aux conséquences, aux effets « externes », aux dommages collatéraux qu’elles pouvaient provoquer. La banalité des milieux et des espèces concernés n’a pas permis d’attirer l’attention, et nous en sommes arrivés à cette situation de crise de la biodiversité. Il faut reconsolider la base de la pyramide, sapée sans précaution depuis des années.
C’est là où le bât blesse. Les acteurs économiques qui occupent le territoire ont trouvé leur équilibre sans se soucier le la biodiversité, et il faut aujourd’hui prendre en charge ce qui est considéré comme une contrainte. C’est la fin de cette période heureuse où les couts « externes » étaient négligés, et supportés de fait par la collectivité actuelle ou future. L’environnement apparait alors comme une charge insupportable, et elle l’est assurément pour les activités dont l’équilibre est précaire.
La consolidation de la base devient ainsi une politique transversale, qui doit être prise en charge par tous les secteurs d’activité et non seulement par l’environnement comme l’avait été la protection des espèces menacées. De nouvelles pratiques professionnelles doivent se faire jour, de nouvelles organisations des territoires, de la mobilité, de l’habitat, une nouvelle solidarité financière entre activités pour permettre « d’internaliser les couts externes ». C’est la recherche de ces nouveaux équilibres, de ces nouveaux modes de produire, de consommer, de travailler, d’habiter, de se bouger, qui s’appelle développement durable.
Photo : Adam Bichler, Unsplash
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